Depuis quelques semaines un sentiment d'urgence s'est emparé de nos jours. Degré après degré, la perpendiculaire se désaxe inexorablement. Sous peu elle ne fera plus qu'un avec la flèche du temps et son irréversibilité. Aussi, au journal de bord coutumier, coûteux en temps et énergie, nous substituerons pour ce dernier article dédié à nos pérégrinations du sud au nord de la botte une suite d'instantanés entrecoupés de légendes et de quelques abrégés.
Au sud de la botte
L’escalade se voyant remisée au second plan nous profitons
de ce temps mort pour arpenter les allées et les places de deux joyaux
architecturaux de cette partie du pays, deux villes aussi différentes qu’harassées
par le même soleil. Tandis qu’à Lecce de longues artères immaculées qui ne sont
pas sans faire penser à l’architecture mussolinienne quadrillent le centre où
des édifices au style baroque foisonnant voisinent avec les vestiges épurés de
la période romaine, Matera se caractérise par la densité et le dessin tortueux
de sa vieille ville, héritage d’une occupation de près de 7000 ans, date à
laquelle auraient été aménagées dans le tuf (un calcaire assez meuble) ses
premières habitations troglodytes. Appelés sassi,
ces logements à la fois rudimentaires et ingénieux (récupération et réserve
de l’eau de pluie, stockage de neige, ventilation) qui furent occupées
jusqu’aux années 50 constituent aujourd’hui un patrimoine remarquable aux côtés
des nombreuses églises elles aussi troglodytes qui émaillent le cœur de la cité.
La Pietra del Toro
Les yeux rivés depuis plusieurs semaines sur le bulletin
météo nous sautons à travers la première fenêtre de stabilité en direction de la
Pietra del Toro. Mais au lieu des cinq jours pronostiqués, deux seulement nous
seront accordés avant que le ciel ne se ferme à nouveau, les retrouvailles tant
attendues avec le bloc se muant en un contre-la-montre assez frustrant. Après
avoir mis la main sur le dernier exemplaire connu de l’unique topo édité il y a
plus d’une dizaine d’années, une relique dont nous tournons les pages jaunies
avec un mélange d’excitation et de crainte de les endommager ; puis
effectué un repérage du site au cours duquel nous constatons avec amertume et
tristesse les effets directs de cet absence de topo, à savoir la reconquête par
la végétation de 80 voire 90 pour 100 des passages ouverts à l’origine ; nous
parviendrons néanmoins à boucler, sur le coup de tonnerre annonçant le terme de
notre séjour sur place, nos projets respectifs, deux problèmes par chance voisins, en 7A+ et 8A.
Sur les conseils d’une grimpeuse rencontrée en Sardaigne
nous posons quelques heures plus tard le pied en Molise, région de moyenne
montagne intouchée par le tourisme de masse. Séduits immédiatement par ses
collines verdoyantes surmontées d’une succession de monolithes calcaire allant d'une quinzaine de mètres à une trentaine, ses immenses forêts où résonnent de l’aube au crépuscule les
carillons des vaches, ses troupeaux de chevaux en semi-liberté sur les
plateaux, nous y vivrons une dizaine de jours aussi heureux que bousculés par les
violents orages qui frapperont la zone, des perturbations quotidiennes ne nous octroyant
parfois que quelques heures de répit et limitant drastiquement le choix des
voies. Malgré cela et le style d’escalade souvent morpho du fait de l’avarice
du calcaire en prises intermédiaires et pieds optionnels, nous tirerons plutôt
bien notre épingle du jeu en enchaînant en un ou deux essais des voies jusque
7a+ et 8b.
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quelques uns des 26 monolithes des lieux |
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le coeur de Julie balance |
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troupeau de chevaux en semi-liberté sur la crête |
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le paysage ondoyant de la Molise |
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l'empreinte omniprésente du catholicisme |
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au centre de ce monolithe, l'un des 8b réalisé durant ce séjour |
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sur la frange du plateau |
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autre troupeau |
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l'étalon de retour d'une visite de courtoisie au troupeau voisin |
Parc Naturel du Gran Sasso (Abruzzes)
Quelques centaines de kilomètres plus au nord les Abruzzes
essuient depuis plus d’un mois les mêmes intempéries et c’est avec un mélange
de joie et d’appréhension que nous retrouvons mes parents venus partager une
semaine avec nous. Depuis notre camp de base de Pietracamela, charmant village
niché au cœur du parc naturel du Gran Sasso, nous rayonnerons plus souvent sous
les gouttes qu’entre, du Campo Imperatore, un exceptionnel plateau de 27km
cerné de sommets enneigés culminant à près de 3000m, au village médiéval de San
Stefano di Sassino sauvé par quelque excentrique milliardaire d’une ruine
certaine, en passant par la forteresse de Rocca Calascio où ont été tournés de
nombreux films dont le célèbre Le nom de
la rose. Quant à l’escalade, hormis une session lumineuse sur les blocs du
Val Maone éparpillés au milieu des alpages, nous irons de déconvenues en
déconvenues, entre falaises mouillées, blocs partiellement sous la neige et
risques d’orages trop importants pour partir en grande voie.
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fontaine |
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ballade en famille sur les crêtes |
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sur le chemin du château de Rocca Calascio |
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couleurs printanières |
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Rocca Calascio, lieu de tournage du Nom de la rose |
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San Stefano di Sassino |
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détails et ambiances du village médiéval |
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secteur de bloc du Val Maone |
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un calcaire digne du Verdon |
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Julie dans un 6C |
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un bivouac de rêve à deux pas du Corno Grande |
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le sommet en question sur le chemin du col |
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au centre le secteur de bloc d'altitude... |
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... en partie sous la neige |
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chamois des Abruzzes |
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épaulement dans la descente |
Au nord du calcaire : le granit du Val Daone
Dans notre viseur depuis les préparatifs du voyage il nous
tardait de rallier les alpes italiennes, notamment le Val di Mello et ses
milliers de blocs, ses couennes et ses grandes voies tracées dans un granit
sculptural. Un doux rêve brisé la veille de nous y rendre par la
marchandisation des espaces naturels qui frappe une à une les vallées des Alpes
de part et d’autre des frontières (voir Ailefroide en France, le Val Verzasca,
Chironico en Suisse). A moins de débourser selon les parkings entre 10 et 20
euros jour pour y séjourner en fourgon, sans la moindre commodité, ce terrain
de jeu est désormais inaccessible. Au-delà des frais eux-mêmes c’est le
principe que nous refusons, celui d’un extractivisme grossièrement maquillé en
écologisme (pourquoi sinon ne pas simplement limiter le nombre de véhicules
quotidiens entrant dans la vallée comme nous l’avons vu faire en
Espagne ?).
Le phénomène ayant conquis en priorité les territoires les
plus célèbres, nous nous rabattons sur une vallée secondaire, pour l’instant
miraculeusement épargnée, le Val Daone, un site où hormis le weekend la
fréquentation mesurée sied beaucoup plus à nos aspirations. Les blocs sont là,
en nombre comme en qualité, répartis sur une dizaine de secteurs allant du
sous-bois à l’alpage. Bientôt rejoints par un Cédric en mal de grand air, puis
par les parents de Julie et enfin par Noé lancé depuis un bon mois à la
conquête des cols des Alpes à la force de ses seuls mollets, nous y posons les amarres une douzaine de jours, entre dégustation des produits locaux, initiation aux joies
de l’escalade pour les uns et résolution de quelques beaux projets pour les
autres. Pas tout à fait de quoi étancher notre soif grandissante de bloc mais
assez pour faire passer la pilule du Val di Mello.
Poussés une fois encore par la météo à lever l'ancre nous
jetons notre dévolu sur la vallée parallèle où d’après les infos en notre
possession se dresse parmi les mélèzes l’un des plus beaux cailloux de tout le
massif, la serpentine, un granit chatoyant, mordoré et noir, l’une des plus
belles surprises du voyage. Poli par le glacier retiré depuis quelque 1000m en
amont, ce rocher extraordinairement compact présente des faces tantôt coupées
au couteau, tantôt ondulées, striées de fissures fuyantes et plus ou moins
parsemées de réglettes jamais traumatisantes, un ravissement aussi bien pour
les yeux que pour la pulpe des doigts après ces longs mois de calcaire. Nous y
grimpons jusqu’à plus soif, Cédric bientôt relayé par Gilles au sein de notre
caravane des temps modernes.
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une halte insolite à Fusine et sa falaise les pieds dans l'eau |
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6b+ du même secteur |
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le Valmalenco |
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Julie à l'attaque d'un 6b |
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passage final et aérien de la voie voisine en 6c |
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les marbrures de la serpentine |
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détail du rocher |
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approche avant le panneau final de ce 8a |
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Cédric coche ce 6b à vue |
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un chef d'oeuvre au mètre carré |
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Julie dans un 6c+ |
Les Dolomites
Malgré une incertitude chronique quant à la météo à venir nous jouons dans un sursaut d'espoir la carte des Dolomites, cet autre phare sur le trajet qui devait initialement nous conduire
jusqu’en Norvège (?), cet épicentre mondial des activités de pleine nature
comme nous en prenons d’emblée conscience, littéralement ivres de l’incessant
ballet de véhicules à 2 et 4 roues, de cyclistes et de randonneurs qui sillonnent
à longueur de journée les routes, les sentiers et les falaises de la région. Le
boycott des parcmètres qui ici aussi fleurissent au milieu de nulle part dicte
pour une bonne part nos déplacements et nos points de chutes. Laste en premier
lieu, un énorme bastion calcaire hissant sa cinquantaine de mètres au-dessus de
la forêt et du paisible hameau du même nom, un site pourvu d’autant de styles
d’escalade qu’il a de faces et d’expositions : léger dévers émaillé de
prises plates, panneau à concrétions, dalles à adhérences et murs truffés de
gouttes d’eau que malheureusement nous ne toucherons pas du fait de leur
exposition au sud. S’agissant des autres profils nous ferons tout juste
connaissance avant d’encore une fois faire les frais des intempéries. Suivra un
répit de quelques jours aux Cinque Torri, véritable blason des Dolomites prisé autant par les randonneurs que par les grimpeurs, un complexe minéral érigé à la croisée d'innombrables massifs à la beauté indicible, de la muraille de la
Civetta large de plusieurs kilomètres aux aiguilles acérées, pareils aux donjons
d’une forteresse médiévale, des Croda del Lago, des remparts du Lagazoi au
colosse du Tofana de Rozes.
Malgré l’affluence qui ici comme partout ailleurs est à son
acmé en cette fin juillet, la grandeur incommensurable de ces paysages qu’on
dirait sortis d’un film fantastique demeure intacte et leur pouvoir
d’attraction ne cesse de nous faire chavirer. Source de tracas perpétuel pour
nos aspirations verticales les masses orageuses qui en soirée envahissent le
ciel à la vitesse d’un cheval au galop, l’assombrissent puis le déchirent comme
du vulgaire papier, offrent, une fois rentrés au camion, un spectacle
inoubliable culminant quelques heures plus tard en une suite de tableaux
crépusculaires, les sommets pareils à des récifs qui émergent ça et là de l'écume des nuages. En termes d’escalade, autant sont irrésistiblement attirantes ces faces et ces tours, autant de près le rocher déçoit du fait de son
caractère assez délité, souvent fracturé, plus propice in fine à la montagne qu’à l’escalade
sportive. Nous tirons toutefois quelques lignes dignes d'intérêt avant de guerre lasse
quitter prématurément et les Dolomites et les Alpes.
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à droite la forteresse de Laste |
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un couloir bienvenu en cet été étouffant |
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vue depuis l'intérieur de la gorge |
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ambiance alpine |
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grimpeur de passage dans ce 7a+ de choix tout en adhérence |
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panorama depuis le site |
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Julie profite de ce beau calcaire |
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après la pluie |
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le soleil perce |
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les aiguilles de Croda del lago |
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crépuscule |
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vue sur les remparts du Lagazoi |
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les Cinque Torri |
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approche d'un des secteurs |
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l'un des innombrables sentiers tracés par l'arméee |
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un décor de film fantastique |
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le sasso cubo, bloc éboulé où se concentrent une majorité des voies dures du site |
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au dernier plan la muraille de la Civetta |
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gros plan sur le même sommet |
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le Tofana di Rozes |
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Gilles sur une arête aérienne |
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remontant ce panneau coupé au couteau l'un des plus beaux 7C des lieux |
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les Cinque Torri se font petites au milieu de ce paysage incommensurable |
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épiphanie |
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une sixième tour ? |
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clap de fin au refuge des Cinque Torri |
Repli dans le golf de Gênes : J + 365
Craignant de devoir encore négocier régulièrement avec le
ciel, changer sans cesse nos plans, ou nous rapatrier en urgence dans le
fourgon dès le milieu de journée, nous préférons pour nos dernières semaines de
voyage miser sur la sécurité en arrêtant notre choix sur le golf de
Gênes. Inondées de lumière mais pourvues
d’un nombre conséquent de faces nord ainsi que de torrents où se rafraîchir
entre deux journées de grimpe, les vallées voisines de Finale Ligure et de
Pennavaire constituent un repli de premier choix qu’en cette fin de trip, malgré une détermination intacte sur le rocher, nos corps usés par une année
pleine d’escalade nous sont pour le moins reconnaissants.
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la barre de Cineplex, secteur majeur de la vallée de Pennavaire |
Superbe ! mais alors, vous allez où ensuite ? et le Peak ?
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