Italie : sauve qui pluie

 

    Depuis quelques semaines un sentiment d'urgence s'est emparé de nos jours. Degré après degré, la perpendiculaire se désaxe inexorablement. Sous peu elle ne fera plus qu'un avec la flèche du temps et son irréversibilité. Aussi, au journal de bord coutumier, coûteux en temps et énergie, nous substituerons pour ce dernier article dédié à nos pérégrinations du sud au nord de la botte une suite d'instantanés entrecoupés de légendes et de quelques abrégés. 


Au sud de la botte

    Les trombes d’eau qui hachaient déjà le ciel de Naples lors de notre débarquement devaient persister plusieurs semaines, coupant court notre projet initial de faire du bloc à l’ombre des forêts de Basilicata. La situation météorologique étant identique dans le nord nous lui tournons donc le dos direction le Salento, aux confins du talon de la botte, une contrée profondément rurale, partout marquée par le fléau qui en quelques années a décimé la presque totalité des oliviers qui faisaient sa réputation depuis l’antiquité. Silhouettes squelettiques alignées par milliers dans les champs pareils à de vastes cimetières. Champs désolés et parcelles en ruines. Le long de la côte les nombreux vestiges en pierres sèches de la culture messapienne, un peuple originaire des balkans, évoquent une période au cours de laquelle le sud de l’Italie occupait une toute autre place socio-économique que celle qui lui est assignée aujourd’hui, province négligée par les institutions centrales, considérée au mieux comme un lieu de villégiature par les italiens du nord.

les falaises de Ponte Ciolo, dans le Salento

grenier à grain messapien

un balcon sur la mer

les figuiers de barbarie prospèrent


Lecce et Matera

    L’escalade se voyant remisée au second plan nous profitons de ce temps mort pour arpenter les allées et les places de deux joyaux architecturaux de cette partie du pays, deux villes aussi différentes qu’harassées par le même soleil. Tandis qu’à Lecce de longues artères immaculées qui ne sont pas sans faire penser à l’architecture mussolinienne quadrillent le centre où des édifices au style baroque foisonnant voisinent avec les vestiges épurés de la période romaine, Matera se caractérise par la densité et le dessin tortueux de sa vieille ville, héritage d’une occupation de près de 7000 ans, date à laquelle auraient été aménagées dans le tuf (un calcaire assez meuble) ses premières habitations troglodytes. Appelés sassi, ces logements à la fois rudimentaires et ingénieux (récupération et réserve de l’eau de pluie, stockage de neige, ventilation) qui furent occupées jusqu’aux années 50 constituent aujourd’hui un patrimoine remarquable aux côtés des nombreuses églises elles aussi troglodytes qui émaillent le cœur de la cité. 

recoin de Lecce

amphithéâtre romain

dichotomie

Pablo


différents aperçus de Matera








photo d'époque d'une habitation troglodyte

reconstitution d'une cuisine d'époque

église troglodyte



autres aperçus


La Pietra del Toro 

    Les yeux rivés depuis plusieurs semaines sur le bulletin météo nous sautons à travers la première fenêtre de stabilité en direction de la Pietra del Toro. Mais au lieu des cinq jours pronostiqués, deux seulement nous seront accordés avant que le ciel ne se ferme à nouveau, les retrouvailles tant attendues avec le bloc se muant en un contre-la-montre assez frustrant. Après avoir mis la main sur le dernier exemplaire connu de l’unique topo édité il y a plus d’une dizaine d’années, une relique dont nous tournons les pages jaunies avec un mélange d’excitation et de crainte de les endommager ; puis effectué un repérage du site au cours duquel nous constatons avec amertume et tristesse les effets directs de cet absence de topo, à savoir la reconquête par la végétation de 80 voire 90 pour 100 des passages ouverts à l’origine ; nous parviendrons néanmoins à boucler, sur le coup de tonnerre annonçant le terme de notre séjour sur place, nos projets respectifs, deux problèmes par chance voisins, en 7A+ et 8A. 

le grès de la Basilicata et ses textures uniques

Julie semble léviter dans ce 6C emblématique des lieux

à la limite du highball

Julie dans le 7A+ de Scarapette

la lumière qui filtre à travers le feuillage nimbe tout de vert

le bloc du jour, Julie par la dalle, moi par la proue

8A

le Toro en question ?



Frosolone en Molise

    Sur les conseils d’une grimpeuse rencontrée en Sardaigne nous posons quelques heures plus tard le pied en Molise, région de moyenne montagne intouchée par le tourisme de masse. Séduits immédiatement par ses collines verdoyantes surmontées d’une succession de monolithes calcaire allant d'une quinzaine de mètres à une trentaine, ses immenses forêts où résonnent de l’aube au crépuscule les carillons des vaches, ses troupeaux de chevaux en semi-liberté sur les plateaux, nous y vivrons une dizaine de jours aussi heureux que bousculés par les violents orages qui frapperont la zone, des perturbations quotidiennes ne nous octroyant parfois que quelques heures de répit et limitant drastiquement le choix des voies. Malgré cela et le style d’escalade souvent morpho du fait de l’avarice du calcaire en prises intermédiaires et pieds optionnels, nous tirerons plutôt bien notre épingle du jeu en enchaînant en un ou deux essais des voies jusque 7a+ et 8b. 

quelques uns des 26 monolithes des lieux

le coeur de Julie balance 

troupeau de chevaux en semi-liberté sur la crête

le paysage ondoyant de la Molise

l'empreinte omniprésente du catholicisme

au centre de ce monolithe, l'un des 8b réalisé durant ce séjour

sur la frange du plateau

autre troupeau

l'étalon de retour d'une visite de courtoisie au troupeau voisin



Parc Naturel du Gran Sasso (Abruzzes)

    Quelques centaines de kilomètres plus au nord les Abruzzes essuient depuis plus d’un mois les mêmes intempéries et c’est avec un mélange de joie et d’appréhension que nous retrouvons mes parents venus partager une semaine avec nous. Depuis notre camp de base de Pietracamela, charmant village niché au cœur du parc naturel du Gran Sasso, nous rayonnerons plus souvent sous les gouttes qu’entre, du Campo Imperatore, un exceptionnel plateau de 27km cerné de sommets enneigés culminant à près de 3000m, au village médiéval de San Stefano di Sassino sauvé par quelque excentrique milliardaire d’une ruine certaine, en passant par la forteresse de Rocca Calascio où ont été tournés de nombreux films dont le célèbre Le nom de la rose. Quant à l’escalade, hormis une session lumineuse sur les blocs du Val Maone éparpillés au milieu des alpages, nous irons de déconvenues en déconvenues, entre falaises mouillées, blocs partiellement sous la neige et risques d’orages trop importants pour partir en grande voie. 

le plateau du Campo Imperatore

Pietracamela

les séquelles du tremblement de terre de 2009

un territoire occupé de longue date 

plus d'eau qu'on en voudrait

orchidée sauvage
 

fontaine

ballade en famille sur les crêtes

sur le chemin du château de Rocca Calascio

couleurs printanières

Rocca Calascio, lieu de tournage du Nom de la rose

San Stefano di Sassino







détails et ambiances du village médiéval

secteur de bloc du Val Maone

un calcaire digne du Verdon

Julie dans un 6C



un bivouac de rêve à deux pas du Corno Grande

le sommet en question sur le chemin du col

au centre le secteur de bloc d'altitude...

... en partie sous la neige

chamois des Abruzzes

épaulement dans la descente


Au nord du calcaire : le granit du Val Daone

    Dans notre viseur depuis les préparatifs du voyage il nous tardait de rallier les alpes italiennes, notamment le Val di Mello et ses milliers de blocs, ses couennes et ses grandes voies tracées dans un granit sculptural. Un doux rêve brisé la veille de nous y rendre par la marchandisation des espaces naturels qui frappe une à une les vallées des Alpes de part et d’autre des frontières (voir Ailefroide en France, le Val Verzasca, Chironico en Suisse). A moins de débourser selon les parkings entre 10 et 20 euros jour pour y séjourner en fourgon, sans la moindre commodité, ce terrain de jeu est désormais inaccessible. Au-delà des frais eux-mêmes c’est le principe que nous refusons, celui d’un extractivisme grossièrement maquillé en écologisme (pourquoi sinon ne pas simplement limiter le nombre de véhicules quotidiens entrant dans la vallée comme nous l’avons vu faire en Espagne ?).

    Le phénomène ayant conquis en priorité les territoires les plus célèbres, nous nous rabattons sur une vallée secondaire, pour l’instant miraculeusement épargnée, le Val Daone, un site où hormis le weekend la fréquentation mesurée sied beaucoup plus à nos aspirations. Les blocs sont là, en nombre comme en qualité, répartis sur une dizaine de secteurs allant du sous-bois à l’alpage. Bientôt rejoints par un Cédric en mal de grand air, puis par les parents de Julie et enfin par Noé lancé depuis un bon mois à la conquête des cols des Alpes à la force de ses seuls mollets, nous y posons les amarres une douzaine de jours, entre dégustation des produits locaux, initiation aux joies de l’escalade pour les uns et résolution de quelques beaux projets pour les autres. Pas tout à fait de quoi étancher notre soif grandissante de bloc mais assez pour faire passer la pilule du Val di Mello. 

panoramique du Val Daone

des blocs qui rappelleront à ceux qui les connaissent ceux de Liezey 

Julie dans un des plus beaux 6A du spot

une dalle en 7A coupée au couteau

partage des méthodes avec Cédric


Julie sous deux angles dans la dalle en question

6B pour Cédric

Noé s'essaie au bloc avec une certaine réussite

secteur en sous-bois



Samra 7C+, LE bloc du secteur et du séjour

Julie peaufine le brossage des prises d'un autre 7A mythique

en vain cette fois

le granit si particulier de la vallée

et au milieu coule une rivière

Cédric dans un bloc d'échauffement

6C pour Julie




6A pour Cédric

nos colocataires du jour


un éperon en 7B+ plus haut qu'il n'y paraît

le projet manqué en 7A+ de Julie

des blocs d'échauffement d'une grande classe

une parfaite veine de quartz pour ce 6C


Au nord du calcaire (II) : le Valmalenco

    Poussés une fois encore par la météo à lever l'ancre nous jetons notre dévolu sur la vallée parallèle où d’après les infos en notre possession se dresse parmi les mélèzes l’un des plus beaux cailloux de tout le massif, la serpentine, un granit chatoyant, mordoré et noir, l’une des plus belles surprises du voyage. Poli par le glacier retiré depuis quelque 1000m en amont, ce rocher extraordinairement compact présente des faces tantôt coupées au couteau, tantôt ondulées, striées de fissures fuyantes et plus ou moins parsemées de réglettes jamais traumatisantes, un ravissement aussi bien pour les yeux que pour la pulpe des doigts après ces longs mois de calcaire. Nous y grimpons jusqu’à plus soif, Cédric bientôt relayé par Gilles au sein de notre caravane des temps modernes. 

une halte insolite à Fusine et sa falaise les pieds dans l'eau

6b+ du même secteur

le Valmalenco

Julie à l'attaque d'un 6b

passage final et aérien de la voie voisine en 6c

les marbrures de la serpentine

détail du rocher

approche avant le panneau final de ce 8a

Cédric coche ce 6b à vue

un chef d'oeuvre au mètre carré

Julie dans un 6c+


Les Dolomites

    Malgré une incertitude chronique quant à la météo à venir nous jouons dans un sursaut d'espoir la carte des Dolomites, cet autre phare sur le trajet qui devait initialement nous conduire jusqu’en Norvège (?), cet épicentre mondial des activités de pleine nature comme nous en prenons d’emblée conscience, littéralement ivres de l’incessant ballet de véhicules à 2 et 4 roues, de cyclistes et de randonneurs qui sillonnent à longueur de journée les routes, les sentiers et les falaises de la région. Le boycott des parcmètres qui ici aussi fleurissent au milieu de nulle part dicte pour une bonne part nos déplacements et nos points de chutes. Laste en premier lieu, un énorme bastion calcaire hissant sa cinquantaine de mètres au-dessus de la forêt et du paisible hameau du même nom, un site pourvu d’autant de styles d’escalade qu’il a de faces et d’expositions : léger dévers émaillé de prises plates, panneau à concrétions, dalles à adhérences et murs truffés de gouttes d’eau que malheureusement nous ne toucherons pas du fait de leur exposition au sud. S’agissant des autres profils nous ferons tout juste connaissance avant d’encore une fois faire les frais des intempéries. Suivra un répit de quelques jours aux Cinque Torri, véritable blason des Dolomites prisé autant par les randonneurs que par les grimpeurs, un complexe minéral érigé à la croisée d'innombrables massifs à la beauté indicible, de la muraille de la Civetta large de plusieurs kilomètres aux aiguilles acérées, pareils aux donjons d’une forteresse médiévale, des Croda del Lago, des remparts du Lagazoi au colosse du Tofana de Rozes.

    Malgré l’affluence qui ici comme partout ailleurs est à son acmé en cette fin juillet, la grandeur incommensurable de ces paysages qu’on dirait sortis d’un film fantastique demeure intacte et leur pouvoir d’attraction ne cesse de nous faire chavirer. Source de tracas perpétuel pour nos aspirations verticales les masses orageuses qui en soirée envahissent le ciel à la vitesse d’un cheval au galop, l’assombrissent puis le déchirent comme du vulgaire papier, offrent, une fois rentrés au camion, un spectacle inoubliable culminant quelques heures plus tard en une suite de tableaux crépusculaires, les sommets pareils à des récifs qui émergent ça et là de l'écume des nuages. En termes d’escalade, autant sont irrésistiblement attirantes ces faces et ces tours, autant de près le rocher déçoit du fait de son caractère assez délité, souvent fracturé, plus propice in fine à la montagne qu’à l’escalade sportive. Nous tirons toutefois quelques lignes dignes d'intérêt avant de guerre lasse quitter prématurément et les Dolomites et les Alpes. 

à droite la forteresse de Laste

un couloir bienvenu en cet été étouffant

vue depuis l'intérieur de la gorge

ambiance alpine

grimpeur de passage dans ce 7a+ de choix tout en adhérence

panorama depuis le site

Julie profite de ce beau calcaire

après la pluie

le soleil perce

les aiguilles de Croda del lago

crépuscule

vue sur les remparts du Lagazoi

les Cinque Torri

approche d'un des secteurs


l'un des innombrables sentiers tracés par l'arméee


un décor de film fantastique


le sasso cubo, bloc éboulé où se concentrent une majorité des voies dures du site

au dernier plan la muraille de la Civetta

gros plan sur le même sommet

le Tofana di Rozes

Gilles sur une arête aérienne

remontant ce panneau coupé au couteau l'un des plus beaux 7C des lieux

les Cinque Torri se font petites au milieu de ce paysage incommensurable

épiphanie

une sixième tour ?

clap de fin au refuge des Cinque Torri 



Repli dans le golf de Gênes : J + 365

    Craignant de devoir encore négocier régulièrement avec le ciel, changer sans cesse nos plans, ou nous rapatrier en urgence dans le fourgon dès le milieu de journée, nous préférons pour nos dernières semaines de voyage miser sur la sécurité en arrêtant notre choix sur le golf de Gênes. Inondées de lumière mais pourvues d’un nombre conséquent de faces nord ainsi que de torrents où se rafraîchir entre deux journées de grimpe, les vallées voisines de Finale Ligure et de Pennavaire constituent un repli de premier choix qu’en cette fin de trip, malgré une détermination intacte sur le rocher, nos corps usés par une année pleine d’escalade nous sont pour le moins reconnaissants. 

la barre de Cineplex, secteur majeur de la vallée de Pennavaire

délasser les muscles après l'effort

Julie dans un 6c

un 8a explosif


une dizaine d'années suffit à la nature pour reprendre ses droits

Julie dans un 7a de Erboristeria, autre joyau de la vallée

plus haut dans la même voie

au débouché du goulot d'accès à la Grota dell Edera, falaise emblématique de Finale Ligure

convergence des formes de la nature

grimpeurs allemands à droite de la fenêtre de la grotte cylindrique



don Gill plus affûté que jamais malgré le poids des ans

Julie à l'échauffement à Cineplex

dernier regard sur la vallée de Pennavaire avant le passage de la frontière


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