Les Gorges de Todgha : d'ombre et de lumière
Si Taghia était Thoreau, Todgha est un de ces artistes dont la reconnaissance a été immédiate et unanime et qui conséquemment se sont brûlés les ailes sous les feux de la rampe. Destins tragiques à la Jean-Michel Basquiat ou à la Kurt Cobain, esprits en avance de plusieurs longueurs sur leur temps, copiés depuis ad nauseam. Explorées plus ou moins à la même époque que celles de Taghia, les gorges de Todgha ont connu un essor précoce, concomitant à celui de l’escalade sportive à l’aube des années 80 du siècle passé. Initialement accessibles uniquement par la piste, les parois qui forment ce couloir de près d’un kilomètre de long par 250 à 400 mètres de haut ont naturellement séduit plusieurs générations de grimpeurs globe-trotters avant de se voir peu à peu désertées, victimes de leur propre succès à la fois en tant que haut-lieu de l’escalade marocaine et en tant qu’attraction touristique incontournable pour quiconque est de passage dans la région. Considérées aujourd’hui comme une destination passablement commerciale, elles sont ignorées de la plupart des grimpeurs expérimentés et font au mieux l’objet d’une halte sur le chemin de Taghia, au pire du plus parfait dédain. Mais comme pour ces génies dont l’exploitation à outrance ne saurait remettre en question le talent, demeurent intactes ou presque les qualités intrinsèques qui ont fait leur réputation, à savoir les kilomètres de calcaire d’une qualité qui n’a rien à envier à Taghia que l’on trouve dans un rayon à peine plus grand, le cadre désertique stupéfiant et des conditions climatiques inespérées en ce début d’hiver, ainsi que le nombre de lignes de haut-rang non négligeable, en voie sportive comme de plusieurs longueurs.
Transit
Un peu moins de 300km séparent Zahouiat Ahansal, au nord de l’Atlas, de Todgha au sud, une broutille à l’échelle du pays, une montagne au sens propre comme au figuré tant la route est sinueuse et en mauvais état. Cette traversée éprouvante du Haut-Atlas nous réserve autant de diversités géographiques et culturelles que de cols à franchir, autant de façons d’être « berbère » qu’il y a de vallées. Aux constructions en pierre sèche des environs de Zaouiat Ahansal succède donc la terre crue de la vallée des Aït Bouguemez, aux ouvertures modestes des habitations de Taghia de larges fenêtres badigeonnées de blanc, au plain-pied généralisé des constructions sur plusieurs niveaux dont les murs de briques en terre sont surmontées de toit-terrasses de la même terre. Une variété architecturale qui reflète trait pour trait celle du paysage et s’inscrit dans cette démarche à la fois écologique et économique qui consiste à user des ressources à sa portée et elles seules, de préférence sur place, puis disons dans un rayon de quelques dizaines de kilomètres, soit la distance qu’une mule chargée peut parcourir.
habitations en terre crue de la vallée des Aït Bouguemez |
Encore une fois on ne peut qu’être saisi par la dichotomie entre cet ancrage immédiat au milieu dans le lequel ces gens vivent et la déconnexion totale avec notre propre environnement sur laquelle est fondée non seulement notre architecture mais plus largement tous les domaines de notre vie, des besoins de première nécessité importés des quatre coins de la planète à ceux dits non-essentiels, influencés par ces mêmes quatre coins. Que ce caractère se révèle en premier lieu à travers l’architecture n’est sans doute pas un hasard, bâtir étant avant tout habiter le monde. Et il est malaisé de correctement habiter le monde, d’être en harmonie avec lui, si on bâtit sans s’en soucier, à l’image de ces quartiers pavillonnaires et de ces zones commerciales qui colonisent les périphéries de nos villes et qu’on croirait pensés pour les anéantir, en chasser à jamais la vie. Ivres de diversités nous avons la sensation en une seule journée de route de faire le tour du Maroc, des flancs désormais blanchis des plus hauts sommets de l’Atlas aux rives luxuriantes des vallées qui s’étirent à leurs pieds, d’un village à l’autre, des pistes poussiéreuses aux lignes droites de l’asphalte le long desquelles la modernité se répand toujours plus vite, puis parmi une infinité de nuances de brun, de jaune, de rouge et de vert à l’approche de Todgha.
après la pierre du nord de l'Atlas, la terre domine le sud |
arrivée nocturne à Todgha |
Premier jour dans les gorges : le réel et son double
Arrivés de nuit nous comprenons quelques heures plus tard l’appellation « commerciale » qui précède le site. Coincés entre plusieurs navettes venues récupérer les touristes déposés plus tôt de l’autre côté du canyon, à moins d’un kilomètre de là, le réveil est pour le moins brutal. Mais notre attention a tôt fait d’être détournée par la grandeur du paysage que nous découvrons autour du camion, par ces gorges d’abord, leur démesure, leur clair-obscur, par cette vallée d’une beauté austère ensuite, des coteaux barrés de rocher menant à des hauts-plateaux pelés, par ces boucliers rougeoyant plaqués contre un ciel sans tâche, ces murailles barrant l’horizon d’un bloc, par cette terre franchement plus aride qu’au nord de l’Atlas enfin, ses déclinaisons d’ocres et ses ombres coupés à la hache qui s’y déploient en silence. Hormis une poignée de palmiers plantés en bordure d’anciens jardins en terrasse le minéral occupe tout l’espace géographique, du minéral sous toutes ses formes, des falaises qui surmontent sur plusieurs étages les flancs de la vallée aux chaos de blocs qui s’en sont détachés, en passant par la pierre érodée de l’oued, les ravins et les éboulis, la poussière omniprésente.
marée d'ombre |
entrée nord des gorges |
entrée sud avec le début de l'oasis |
Sinon
quelques débutants sur un secteur tout proche du parking nous ne verrons aucun
autre grimpeur ce premier jour, le site n’ayant vraisemblablement plus la cote
d’autrefois. Littéralement détrônés par Taghia, les lieux sont plus ou moins tombés
en désuétude en dépit des efforts de quelques locaux. La boutique de référence
illustre d’ailleurs assez bien cette désaffection. Là où d’après les photos
encore en ligne on vendait ou louait du matériel d’escalade et de camping
dernier cri, quelques cordes râpées, des baudriers hors d’âge et des casques
issus d’autres horizons que celui de la verticalité occupent les étagères du modeste
local ; quant à la personne qui nous reçoit, à qui nous achetons le topo
du coin, un ouvrage photocopié de piètre qualité payé rubis sur l’ongle, elle paraît
s’être trompée d’enseigne.
secteur jardin d'été et oued à sec |
Todgha aujourd’hui c’est avant tout cet échantillon d’exotisme où se pressent les touristes, et si l’escalade ne fait plus carton plein le décor et ses figurants vêtus d’habits traditionnels qu’ils retirent une fois chez eux font encore grassement recette. En quelques heures nous voyons plus de touristes et de guides et entendons plus de langues différentes qu’en plusieurs mois. Plus de modèles de camping-cars et de vans qu’en toute une vie. Une fréquentation qui n’est pas sans conséquence immédiate sur l’environnement. De retour de notre escapade sur un secteur en surplomb de la vallée, nous constatons avec tristesse et effarement l’état déplorable dans lequel les vacanciers de passage ont laissé le parking : braises encore ardentes, bris de verre, emballages divers et papiers toilettes jonchent le sol, contrastant singulièrement avec le soin qui prévalait à Taghia. Passé 18h les gorges se vident, la vie reprend alors son cours, et le silence sa demeure. Quelques heures plus tard les vendeurs de souvenirs de la journée se muent en musiciens, cordes et percussions, un air dont les accords, répétés avec d’infimes variations à la manière de la musique sérielle, s’écoulent le long des parois et emplissent le silence jusque très haut dans le ciel et tard dans la nuit. Fumant une dernière cigarette je les écoute un long moment, témoin privilégié de ce concert improvisé, joué gratuitement, sans soucis de produire quelque effet sur qui que ce soit.
heure de pointe dans les gorges |
Escalade et état d’âme
Dès les premières heures du jour des gamines descendues des hauts plateaux avec un baluchon dans le dos racolent quelques dirhams auprès des touristes les moins indifférents, ceux qui daignent leur prêter un regard, un sourire, un « salam », une pratique qui d’après leur façon de faire, un mélange d’impudence et de distanciation, relève d’une habitude ancrée de longue date. Dans ces régions vampirisées depuis des décennies par les tour-opérateurs, les marchands de sommeil et de plats « d’origine » (entendre locaux) tous identiques, la tentation de l’argent facile a tôt fait d’éclipser les activités traditionnelles comme l’agriculture et l’élevage, ainsi que de déserter les bancs des écoles. Quand pour notre part nous ne bottons pas en touche aussi poliment que possible nous leur proposons à manger.
Au sein de ces vallées encaissées l’amplitude thermique entre l’adret et l’ubac est considérable. Subissant la chaleur du parking quelques dizaines de minutes plus tôt, ce n’est pas sans mal que nous réveillons nos corps engourdis par le froid d’un secteur à l’ombre, en amont des gorges, où nous espérons trouver un tant soit peu de quiétude en ce début de weekend. En dépit de l’aridité la vie s’épanouit à l’ombre et à la fraîcheur toute relative de l’oued, les quelques flaques marrons bordées de craquelures qui le jalonnent attirant l’ensemble du règne animal à des lieux à la ronde, des hirondelles et des pigeons qui se jouent des courants au flanc des falaises aux chèvres et aux ânes qui remontent le lit rocailleux à petits pas, grignotant de place en place des buissons épineux, en passant par les écureuils du désert, les lézards, d’autres oiseaux et peut-être quelques mouflons. A quelques encablures, sous une grotte sculptée de concrétions, du linge sèche, étendu à même la pierre, signe de son occupation par une famille dont nous avons croisé les enfants sur la route un peu plus tôt. Une image frappante, comme issue de la préhistoire si n’étaient les couleurs vives des vêtements. Bien que les bergers du Haut-Atlas nous ont habitués à ce type de pratique, cela restait occasionnel, lors des périodes de pâture mais jamais en tant qu’habitat principal. Compte-tenu des modes de construction locaux, de leur simplicité et de leur gratuité, cet archaïsme nous interroge : choix ou contrainte ?
âne en semi-liberté |
le lit de l'oued |
mouflon |
au second plan, l'habitat sous roche en question |
les deux lignes du jour, l'arête en 8a à gauche, la dalle en 6c à droite |
Julie dans le crux du 6c |
Comme eux-mêmes nous l’ont clairement signifié à plusieurs reprises depuis notre arrivée dans l’Atlas, les berbères aiment à se distinguer des arabes, un peuple pour lequel ils n’affichent guère d’estime. Occupants originels de cette partie de l’Afrique ils ont courageusement résisté à l’invasion de ces derniers et mettent chaque fois que possible un point d’honneur à revendiquer leur indépendance et la singularité de leur mode d’existence. Un peuple soudé et souverain d’un côté, de l’autre une société atomisée d’individus que maintiennent péniblement la police et la religion, bras armés physique et symbolique de l’Etat. « Paysans contre marchands » dixit Abdul, ouvrier et gardien de nuit de l’hôtel fantôme venu tailler une bavette au milieu de sa journée de travail. Œuvrant seul sur ce chantier aussi monumental que de mauvais goût, un projet plaqué sur ce paysage comme s’il s’était agi d’un espace neutre plutôt que d’un territoire avec son histoire et sa géographie singulière, cet homme d’une quarantaine d’année saisit immédiatement l’opportunité qui lui est donnée par nos réponses à ses questions pour lancer une conversation à bâtons rompus mêlant la plus aigüe lucidité à des tendances paranoïaques dont nous aurons la triste confirmation à l’occasion d’un dîner auquel il nous conviera. Enfant du pays, sa parole n’en demeure pas moins riche en enseignements. Nous l’écoutons parler dans le désordre du barrage construit il y a moins d’une dizaine d’année en amont des gorges, un ouvrage qui a signé la mort des jardins et l’exil de ceux qui en dépendaient, de la langue berbère parlée ici, au sud de l’Atlas qui diffère en bien des points de celle utilisée dans le nord, du chantier de l’hôtel démarré il y a 4 ans, aujourd’hui plus ou moins à l’arrêt faute d’investissements. Parler de la période du covid au cours de laquelle, comme ailleurs, la nature avait repris ses droits et les mouflons l’entrée des gorges, de la pluie comme d’une déesse aussi appréciée que redoutée pour ses colères au cours desquelles le ciel se déverse d’un coup, créant des chutes d’eau titanesques tout au long de la vallée. De ses goûts en matière culinaire enfin, restreints à ce qu’il connait comme beaucoup de ses compatriotes, d’où supposément l’invitation à partager un couscous le lendemain.
parcelles asséchées avec la construction du barrage |
En fin d’après-midi j’entraîne Julie sur un secteur dont l’excellence des lignes n’a d’égale que l’environnement sordide entre le cortège bigarré des badauds et le bruit des véhicules qui transitent par les gorges, les détritus qui jonchent le lit de l’oued, les harangues des marchands et les perches à selfies. Je m’excuse d’avance de lui faire subir un tel climat quand à une demi-heure de marche de là se trouvent d’autres secteurs moins défigurés, mais, dévouée à ma cause, elle comprend le pouvoir que peut exercer la lecture en pensée d’une ligne et m’assure pouvoir passer outre tant qu’elle n’a pas à y grimper elle-même. Tandis que j’enfile mes chaussons au pied d’un mur légèrement déversant sculpté de bas en haut par les caprices de l’eau de ruissellement, les musiciens rassemblés sous une excavation bariolée de tentures reprennent les accords joués quelques jours plus tôt, comme s’ils poursuivaient là où ils l’ont laissée une composition unique, une phrase-monde, sans début ni fin. A cette heure tardive les jeux de lumière savants produits par la réflexion des rayons du soleil le long des parois se sont évanouis et seuls quelques retardataires ayant manqué le clou du spectacle se promènent le long de la route. L’endroit demeure époustouflant quoi qu’en puissent dire ou penser les adeptes des confins les plus reculés, les solitaires et les chercheurs d’absolu inviolé. Toute la cochonnerie visuelle et sonore du monde n’enlèvera rien à la puissance indifférente que dégagent ces mâchoires colossales qui enserrent le ciel, à la luminosité vibrante qui y règne, à cet écho qui touche le silence lui-même, aussi fugace soit-il. La suite, trente mètres de calcaire poussiéreux, exempt de toutes traces de magnésie, émaillé de deux maillons rapides et d’un mousqueton comme autant de réchappes passées, une escalade aussi retorse que soutenue, à l’équipement standard des années 80 – la suite relève du combat de rue, d’une échauffourée où les règles les plus rudimentaires de la bienséance et de l’esthétique tombent une à une à mesure que les avant-bras gonflent, où les parties du corps les moins aptes à l’escalade, genoux, coudes, menton, sont mises à contribution, où le principal adversaire est ton ombre et la fuite en avant tout ce qu’il te reste, la seule issue, où chaque pas de plus est un nouveau point de non-retour. A moins de deux mètres du relais, aux prises avec un mouvement d’allonge démesuré pour mon gabarit depuis ce qui me semble être une éternité, je crois être fait comme un rat. Des profondeurs du corps jaillit alors l’étincelle : une contre-pointe permettant la tenue d’une prise intermédiaire, de croiser, prendre et contrôler un méchant ballant. La voix de Julie émerge en premier, fendant ma conscience ; puis la musique, la lumière rouge des gorges, les parois, tout l’environnement éludé durant l’ascension s’y déverse en cascades, comme une naissance.
Randonnée verticale
la vallée en amont des gorges, la roche à perte de vue |
De part et d’autre des gorges proprement dites la vallée s’ouvre sur des ravins secondaires menant vers des plateaux autrement inaccessibles, de vastes étendues de rocaille perchées à plus de 2000m d’altitude ceinturées d’innombrables murailles et de gradins qui rebuteraient même les chèvres les plus téméraires et qui camouflent autant de possibilités d’ouverture. Concentrée à ses prémisses dans et aux environs immédiates des gorges l’escalade s’est pas ou peu développée au-delà contrairement à Taghia où, au fil des années, les grimpeurs se sont éloignés des parois les plus proches du village pour s’enfoncer toujours plus loin dans les terres. De sorte qu’ici, en dépit de la moindre générosité en grandes envolées, il nous semble y avoir encore tant à faire. Ne pouvant honnêtement incriminer la qualité du rocher ou celle des profils encore vierges, les raisons de cette ignorance sont à chercher ailleurs. A commencer par la présence de cette route dont l’aménagement, ultérieur à la première vague d’ouverture, a nécessairement gâté le charme et le caractère sauvage de la zone. Puis par ce que cette dernière a amené, métamorphosant les lieux et les villages alentours en une sorte de parc à thème dont la fréquentation aux heures de pointe n’est pas sans donner le vertige. L’indifférence des médias spécialisés et des pointures de la discipline (qui de l’une a entraîné l’autre ?), ainsi que l’équipement souvent vétuste voire obsolète des voies les plus difficiles n’y sont probablement pas non plus étrangers. Paradoxalement, ce dernier point rend cette destination taxée de commerciale plus aventureuse qu’elle n’y paraît sur le papier, et, relativement à Taghia où certaines voies sont littéralement balisées de bas en haut par les traces de magnésie, il est ici encore loisible de s’essayer à un véritable « à vue ». Et si les tendances en escalade sont sujettes aux mêmes effets de vague que celles du prêt-à-porter ou de la musique, gageons qu’il y aura un acte 2 au développement de l’escalade à Todgha.
au coeur même des gorges, une face impressionnante vierge de tout équipement |
à quelques pas du parking, d'autres profils vierges |
Pour l’heure, faute d’un topo fiable, nous subissons quotidiennement les revers de cette désaffection. Sur place depuis seulement quelques jours nous ne comptons déjà plus les anomalies et les lacunes (relais manquants, plaquettes disparues, itinéraires supplémentaires, absents ou mal situés, cotations farfelues dans un sens comme l’autre) de cette feuille de chou dont l’auteur, un soi-disant local investi dans le rééquipement des lieux, baisse dans notre estime à mesure de ces déconvenues en bafouant et cette noble tâche qu’est la réalisation d’un topo et les lieux eux-mêmes. Faute de connaître les noms donnés par les ouvreurs (faute d’avoir fait son job en gros), il s’est donné la liberté de réécrire l’histoire de l’escalade à Todgha en les nommant lui-même, et avec quelle imagination ! En mal d’inspiration, les jeux de mots s’enchaînent bien souvent dans l’ordre d’apparition des voies. Exemple sur le secteur de la veille :
- La fissure
- Comme son nom l’indique
- T’es vraiment sûr ?
- Puisqu’on te le dit
- Jamais vu personne
- C’est vraiment dommage
- C’est sûr
Ainsi de suite, des pages entières dans cette veine sans queue ni tête. Des noms décontextualisés, plaqués sans aucun souci de coller aux caractéristiques des voies qu’ils sont censés qualifier. Des noms hors-sol, vides de sens, dont partant le potentiel évocatoire et onirique frise le néant. A nos yeux mieux aurait valu les laisser orphelines que de les affubler de la sorte. Bien choisi, inspiré par l’esprit du lieu ou du moment, le nom d’une voie ou d’un bloc participe indéniablement à leur poésie et à celles des lieux où ils se trouvent. Karma à Fontainbleau, The Never Ending Story à Magic Wood, Biographie à Ceüse, Ravage à Chuenisberg etc., la liste est longue.
lumières vespérales |
Ce
n’est donc pas pour ce facile « Qui l’eut cru ? » que nous avons
élu la voie du jour mais pour sa ligne évidente mettant à profit les faiblesses
naturelles d’un des deux piliers en vis-à-vis qui tiennent la sortie des
gorges. 350 mètres d’escalade dans un rocher remarquablement compact et sain
pour la difficulté (5c max).
clair-obscur |
Bien que la voie soit entièrement équipée je prends le parti de poser les coinceurs dans les longueurs qui me reviennent en guise d’entraînement. Quant à Julie cette ballade annoncée est l’occasion d’engranger de l’expérience en grande voie avant les morceaux plus corsés que nous projetons dans les jours à venir. Pour l’un et l’autre c’est aussi l’opportunité de découvrir sous un autre angle ce massif dont l’enchevêtrement des vallées ne s’apprécie pleinement que depuis les hauteurs. A mesure que nous nous élevons le long de cet éperon brisé, les plans camouflés par les à-pics des gorges se révèlent un par un, vastes étendues plus brûlées les unes que les autres. Hormis le long du cours d’eau qui prend naissance dans les gorges et sinue jusqu’à la large vallée du Drâ via Tizgui puis Tinghir, l’agglomération la plus proche, il n’y a nul arbre, nul homme, nulle verticalité. Une minéralité sans rivaux ondoie à perte de vue. Se transformant et se déplaçant sur une échelle de temps vertigineuse pour l’esprit humain la matière inanimée procure un sentiment d’éternité aussi délicieux qu’inquiétant. Des cimes au ravins, des falaises innombrables à la poussière, tout est comme figé. Un phénomène qui atteint également la végétation, majoritairement des buissons d’épines et des pieds de thym d’un âge indéterminable, comme fossilisés. Les airs seuls, animés de loin en loin par la gente ailée, échappent finalement à cette inertie. Alors que des rapaces trop lointains pour être identifiés tutoient l’azur, un couple de pigeons sauvages accroche à nos pieds les premiers pétales du jour dont la limite se rapproche timidement de la paroi. Bientôt rejoints par plusieurs de leurs congénères ils décrivent ensemble pendant un certain moment de larges courbes dans cette zone frontalière entre l’ombre et la lumière, comme s’ils y prenaient plaisir.
au milieu coule une rivière |
Aux deux tiers du pilier un vaste ressaut nous offre un espace de pique-nique idéal. Depuis cette vigie nous avons tout loisir d’observer la marée humaine multicolore qui inonde quotidiennement les gorges à cette heure, tandis qu’au loin, dans le prolongement du défilé, apparaissent les plumeaux des palmiers qui suivent fidèlement le tracé de l’oued ainsi que les architectures cubiques des villages qui les jouxtent, îlots de verdure cernés de toutes parts par la stérilité du désert. De l’autre côté des gorges, hormis l’hôtel en construction où nous sommes invités à manger ce soir, l’homme n’a encore laissé aucune rature. Les 5 longueurs restantes sont une formalité sans surprise. Après 5h d’escalade nous rejoignons le sommet du pilier sous un vent glacial, heureux d’avoir partagé cette ascension sans accroc, cette ballade verticale où le plaisir ne se situe pas dans la performance et le dépassement de soi mais dans la complicité entre les membres de la cordée et le rythme propice à la contemplation.
avant-dernière longueur de la voie |
à l'approche du sommet |
Les dessous de l’hôtel
Conviés par Abdul à partager un couscous nous découvrons les dessous de l’hôtel où il travaille à la fois comme ouvrier et comme gardien, le tout pour 90 dirhams par jour, une broutille compte-tenu de la pénibilité et de l’isolement inhérents, deux facteurs non sans conséquences sur son moral et sa santé comme nous nous en apercevrons au fil de la soirée. La pièce où il « vit » depuis deux ans, date du début du chantier, est criante de dénuement. Peu meublée à l’exception d’une banquette faisant office de lit, d’une table basse et de quelques chaises, elle transpire la solitude et l’ennui. Quelques bidons d’eau, des caisses en guise de garde-manger, des bouteilles de gaz, des bouilloires et des verres à thé voisinent avec du matériel électrique et de maçonnerie. Les légumes du couscous mijotent déjà, emplissant la pièce d’arômes épicés chaque fois qu’il soulève le couvercle pour en vérifier la cuisson.
verres à thé et bouilloire, objets sacrés |
La future chambre 4 étoiles où il a élu domicile est pourvue d’un balcon offrant une vue imprenable sur les gorges et sur la vallée qui les prolonge au nord, un panorama convoité par tout ce que le Maroc compte d’hôteliers et qui tranche singulièrement avec l’aménagement de fortune, froid et poussiéreux, dépourvu de tout, où Abdul vit reclus ou presque. Alors que nous nous extasions des myriades d’étoiles qui glissent imperceptiblement au-dessus du pilier escaladé plus tôt et dont la silhouette pyramidale n’est pas sans nous rappeler celle de l’Oujdad, des feux de voiture déchirent l’épaisseur de la nuit le long de l’allée qui mène à l’hôtel. Abdul s’excuse et revient quelques minutes plus tard accompagné d’un ami, Youssef, un type urbain visiblement éméché, mais qui nous honore sans tarder d’un « Salut les français, ça roule ? » prononcé sans l’ombre d’un accent. Avec d’une part son allure de dandy, son discours soutenu et son phrasé maniéré, de l’autre sa façon de descendre au goulot la bouteille de vin rouge avec laquelle il est arrivé, ce berbère qui a « réussi » emporte immédiatement notre sympathie. Ami d’enfance d’Abdul, enfant du pays comme lui, son statut de propriétaire d’un riad ne lui a pas fait tourner la tête. Aussi rend-t-il visite de temps à autre à Abdul pour partager un plat, un verre, un joint, voire les trois à la fois. Après avoir échoué deux fois à la confection du dernier il se rabat sur sa bouteille de rouge tandis qu’Abdul sirote la sienne à un rythme qui n’augure rien de bon.
Youssef se revendique athée, attaché à l’histoire et aux traditions berbères et parle comme un dictionnaire dans une langue qui n’est pas la sienne de sujets aussi variés que la conquête romaine en Afrique, les vignobles français, la mainmise des Alaouites sur le territoire et le pouvoir marocain, l’histoire de l’escalade à Todgha, citant Patrick Edlinger et Wolfgang Güllich comme s’il les avait côtoyés. Nous n’aurons malheureusement pas l’occasion de faire plus ample connaissance car appelé par un ami anglophone il nous laisse avec Abdul dont l’état bascule d’une légère ivresse à ce qui ressemble de plus en plus à une cuite en bonne due forme. Malgré la sincérité et la chaleur humaine du moment, le soin avec lequel il prépare la semoule, un malaise teinté d’impatience s’installe. Vers 22h30, après une énième cigarette, nous passons enfin à table. La graine de couscous, cuite plusieurs heures avec les vapeurs des légumes, est en soi un délice, et le reste itou.
Abdul à l’œuvre |
Soucieux que nous nous rassasions Abdul mange lui-même frugalement. A mesure que la bouteille se vide les redites se multiplient et son ton se teinte d’amertume. Aussi conscient des dangers de ce mode de vie qu’attaché à ces dons simples que sont « les enfants, la montagne, le couscous et le pain » il souffre de ce tiraillement et sa générosité et son dévouement pour sa famille cachent mal une situation finalement bancale, prisonnier malgré lui d’un palais en chantier, alcoolique en devenir. Quelques jours plus tard, lors d’un passage chez un vendeur de vins et spiritueux de Tinghir nommé « Chez Michel », nous constaterons qu’il n’est malheureusement pas un cas isolé. Dealer officiel des paumés de toute la ville, on entre « Chez Michel » porte de droite avec des lunettes noires sur le nez et on en ressort avec un sachet de la même couleur ne dissimulant qu’à soi-même le fruit défendu. Dans un pays où la consommation d’alcool est proscrite ceux qui s’y adonnent tombent facilement dans l’addiction et leur sort est sans commune mesure avec celui des mêmes malades en Europe. Frappés d’ostracisme par la société comme par leur famille ils n’ont personne vers qui se tourner sinon leurs compagnons de beuverie. Aussi nous nous demanderons a posteriori si Abdul n’occupe pas en partie ce poste de gardien de nuit pour s’alcooliser à l’abri du regard et du jugement des siens. Après avoir partagé une dernière cigarette nous le quittons à la fois tristes pour lui et soulagés d’abandonner cet endroit au silence assourdissant de détresse, froid et sordide. Dans les jours qui suivent nous continuerons à le voir de loin en loin, autour du camion, bavardant autour d’une cigarette ou d’un café. En dépit de son insistance nous refuserons ses autres invitations, préférant nous en tenir à ces échanges ponctuels.
Le chevrier
Prévoyant de réaliser une grande voie exigeant potentiellement plus de temps nous nous installons pour la nuit à l’aplomb direct de la paroi en question. Bientôt pleine, la lune éclaire la vallée comme en plein jour, dessinant des ombres franches sur le calcaire. Nous croyant seuls à des kilomètres à la ronde nous ne sommes pas trop de deux pour confirmer ce que nous voyons : une centaine de mètres en contre-haut de là où nous nous trouvons une source de lumière caresse par intermittence le plafond d’une cavité, signe incontestable d’un feu de camp, et de la présence humaine qui l’attise. De jour rien ne permet de deviner cet abri sous roche dans le paysage, aucun sentier, pas le moindre aménagement. Celui qui y a passé la nuit est notre ami le chevrier, celui que nous avons vu tous les jours depuis notre arrivée aller et venir le long de l’oued avec son troupeau, avec lequel nous avons échangé quelques mots et des babioles. L’homme à la cigarette, aux centimes d’euros et au bouquet de thym. Quelqu’un qui a d’emblée emporté notre adhésion, dont le sourire malicieux, le regard perçant et l’attitude d’animal sauvage continuellement aux aguets le rangent aux côtés des bienheureux, de ces sages qui s’ignorent comme le dénuement matériel, le détachement et la simplicité volontaire en font don à l’humanité de temps à autre. Un homme de peu dégageant beaucoup, transpirant la force tranquille d’une montagne, qu’il arpente les talus solitaires ou bien les aires de stationnement bondées de touristes au milieu desquels il se fond, pareil à la pierre, tandis que ces derniers s’agitent autour sans cesse ni raison.
le chevrier au premier plan, navettes de touristes au second, qui est l'étranger de l'autre ? |
le mur du scorpion vu depuis la voie du pilier |
Suite à une première longueur fracturée tirée par les cheveux et qu’il aurait été préférable de shunter par souci d’homogénéité, la face se redresse franchement. Après une dalle à gouttes d’eau blanchie par le soleil suit un mur tantôt vertical tantôt déversant au relief plus érodé. Tandis que Julie bataille courageusement avec la fissure quelque peu patinée de la troisième longueur en 6b+, des pigeons nichant probablement dans le coin effectuent plusieurs vols de reconnaissance, puis s’éloignent à tire d’ailes, leurs silhouettes cruciformes s’évanouissant dans l’azur. Dans le lointain le marteau d’Abdul résonne régulièrement, Hercule des temps modernes aux prises avec une œuvre démesurée pour un seul homme. Entamée par le caractère résolument physique de cette longueur, Julie me passe la main pour les suivantes. Une traversée aussi aérienne que délicate mène au quatrième relais sous lequel un pas de bloc retors justifie le 6c. Le mur qui lui succède est truffé de trous camouflés que la familiarité grandissante avec le calcaire local permet de situer de plus en plus instinctivement. Hormis quelques pieds patinés ces 25 mètres de gestes techniques et d’équilibres savants clôturent en beauté la partie centrale, la plus compacte et vertigineuse, de cette voie qui n’a rien à envier à certaines classiques de Taghia situées dans le même ordre de difficulté.
Julie dans la longueur clé en 6c du Mur du scorpion |
Bien qu’inintéressante l’ultime longueur a le mérite d’ouvrir l’accès au plateau et à son panorama privilégié sur les gorges et sur les deux éperons jumeaux qui en marquent l’entrée, celui gravi quelques jours plus tôt et celui en vis-à-vis ouvert en 1969 par Bernard Domenech, le même qui s’est illustré à l’Aroudane et dans le cirque de Taghia. De part et d’autre de ces colonnades naturelles, des escarpements qui s’étagent sans ordre dévoilent des faces insoupçonnées qui invitent à jouer du perforateur. Encore une fois l’immensité nous avale, provoquant une sorte de dilatation de la chaire. Nous savourons une tranche de ciel entre deux gorgées de soleil. En 4 rappels et autant de sacs de nœuds nous sommes en bas. Les ombres des parois qui progressent à toute allure en cette fin d’après-midi font immédiatement chuter la température. Faute de branchage, nous déposons devant l’entrée de l’abri du chevrier deux mètres de cordelettes trouvés dans la voie, un geste avant tout symbolique mais qui s’inscrit dans cette pratique du recyclage qui lui est coutumière.
Le lendemain cet homme mutique nous réserve une surprise de plus. Après s’être approché du camion avec sa discrétion habituelle, il nous tend timidement quelque chose posé au creux de sa paume rugueuse comme du bois. Une pièce que nous pensons vouloir être échangée contre des dirhams comme il nous l’a demandé précédemment avant de nous rendre compte qu’elle est marocaine. 10 dirhams exactement. Dans sa main fossilisée. Il fait un signe en direction des bananes qui sont posées en évidence sur la table de notre cuisine de poche. Une somme dépassant de loin la valeur de toutes les bananes posées sur la table. Son insistance pour que nous acceptions cette pièce signifie-t-elle qu’il a découvert notre « présent » ? Que de la sorte il nous remercie ? Pour cela et pour le reste ? Aussi nous acceptons le deal sans broncher. Donner plus, l’équivalent de cette pièce en fruit et légumes, aurait été comme annuler la valeur de son geste et le remettre en position de dette vis-à-vis de nous. Le bilan de cet échange lui convenant apparemment à merveille il disparaît aussi vite qu’il est arrivé, s’éloignant par l’oued en houspillant ses bêtes à coups de brrriiii ! trrriii ! bla ! bla !
Quel contraste me dis-je entre cet homme taiseux façonné par les éléments qui ont aussi dessiné ces paysages d’une beauté austère, et Abdul, l’homme de l’hôtel, dont le flot de paroles à propos de la qualité de vie dans les gorges, des valeurs de partage et de générosité qui font les bons amis, de l’authenticité des berbères, cache bien mal l’ambivalence de sa propre existence et les névroses qui en découlent. Quelle présence ! Quel caractère ! Quelle ouverture d’un côté ! Quels conflits intérieurs de l’autre ! Quel enfermement !
Petites gorges
l'ombre des petites gorges |
Inspirés par ce nouvel épisode témoignant d’une sympathie réciproque, d’une amitié dans la distance, d’une domestication réciproque entre deux mondes que tout ou presque oppose, nous rallions les petites gorges où nous avons subi une déroute il y a quelques jours avec le cœur et l’esprit léger. Julie franchit un nouveau cap en réalisant son premier 6c+ à vue, un aboutissement mérité, fruit de sa sagacité grandissante et de sa volonté de braver ses peurs. Malgré la proximité de la route et les chauffeurs marocains qui à leur habitude ne font pas grand cas des piétons, ce secteur aura nos faveurs à plusieurs reprises lors des prochains jours, l’ombre dont il jouit une bonne partie de la journée et la finesse du rocher prenant le pas sur ce désagrément. Le caillou en question, un calcaire à trous s’élevant sous forme de piliers d’une trentaine de mètres, sied d’ailleurs parfaitement à Julie qui s’y fend de plusieurs autres belles ascensions. Outre quelques autres « à vue » passionnants je retiendrai ce 7a au premier essai, combinaison d’un dièdre technique et d’une fin plus sportive où rythme, précision et engagement physique, fluidité, sont un vrai régal à voir, une leçon d’escalade en falaise. De mon côté, bien que n’ayant pas non plus démérité avec au compteur le flash d’un 7c+ exposé m’ayant convaincu de sortir les crashpads et un 8a typé bloc enchaîné en posant les paires, c’est paradoxalement un échec qui m’a apporté le plus de plaisir immédiat et de satisfaction, celui du 8a « à vue » manqué d’un cheveu, une ligne mystérieuse située en deuxième longueur d’un panneau excentré, mixte de concrétions et de mouvements sur petites prises dans un mur raide, où l’ivresse de l’effort et le vertige de la progression en terre inconnue ont une nouvelle fois affolé mon cerveau, où pour la première fois le chemin parcouru depuis notre départ s’est donné à voir dans son ensemble. Bien que la ligne m’ait beaucoup plu, je me surprends à ne pas insister pour y remettre le couvert un autre jour, au risque de superposer à ce réjouissant échec une réussite plus terne. Un sentiment ambigu s’expliquant sans doute par la qualité de l’instant présent à laquelle permet d’accéder le « à vue », cette présence au monde sans filtre conscient dont beaucoup de grimpeurs cherchent la clé. Comme le flash en bloc, le « à vue », de par sa singularité, son impossible répétition, touche ici à l’universel.
Gautier dans l'une des voies dans le huitème degré réalisée durant le séjour |
Voyage au cœur des gorges
approche |
Il fait jour depuis moins de 2h lorsque nous traversons les gorges pour rejoindre la base du Pilier du Couchant semblable à une fusée pointant sa tête vers la lune diaphane. Ce vaisseau de pierre dressé au cœur des gorges réserve à ses passagers un voyage d’un peu plus de 250m scindé en 6 à 8 étapes selon l’option adoptée. L’itinéraire ouvert par Guy Abert, prolixe guide de haute-montagne et génial touche-à-tout, emporte à la dernière minute notre faveur. La ligne, parallèle à la voie normale qui tire parti d’un système de larges fissures sur la gauche du pilier, préfère la succession de colonnes compactes encore plus à gauche, à quelques volées du pilier voisin.
le pilier du couchant à droite |
Après une première longueur en demi-teinte les suivantes rivalisent de qualité et de diversité gestuelle : croisés, inversées, oppositions, changements de main, mouvement ample, adhérence et grattonages sur un rocher abrasif sans être douloureux ravissent nos corps et nos esprits. Petit à petit le canyon jusque-là silencieux s’emplit de files de visiteurs dont les voix résonnent en plusieurs langues d’une paroi à l’autre, les moteurs vrombissent et les klaxons jouent de concert. Mais la solitude de la paroi, la vue qui se déploie sur la vallée et l’oasis qui y serpente, l’intelligence avec laquelle la voie a été tracée et équipée compensent amplement ces préjudices. Et si nous sommes loin de l’environnement préservé de Taghia, la beauté intrinsèque de l’escalade demeure identique à ce qu’elle était à l’ouverture, avant la folklorisation des lieux, et les traces de magnésie moins nombreuses que de l’autre côté de l’Atlas apportent cette part d’inconnu qui fait le sel des grandes voies.
la paroi du Levant vue depuis les gorges |
Au cours de cet exercice il n’est pas rare de perdre de vue son partenaire, aussi la corde devient-elle avec l’habitude une sorte de prolongement de nos corps, un nerf à travers lequel se propagent les informations basiques permettant à la cordée de rester en contact. Installé au relais depuis lequel j’assure Julie, mes doigts ressentent de plus en plus finement les plus petites vibrations que ses mouvements transmettent à la corde, 20, 30, 35 mètres plus haut. A la manière d’un insecte dont les antennes l’informent sur son environnement je devine désormais quand elle a besoin que je reprenne de la corde ou au contraire quand je dois la laisser lâche pour ne pas enfreindre ses mouvements, je pressens quand elle va partir à gauche, redescendre, filer à droite, s’arrêter pour réfléchir ou courir jusqu’à la prochaine protection. Réciproquement quand je suis de tête c’est elle qui reçoit et analyse instinctivement ces informations. Aussi nous progressons de manière de plus en plus fluide, formant pour la première fois peut-être ce qu’on peut appeler une cordée plutôt que deux partenaires. Nous pourfendons l’ombre des gorges peu de temps avant le sommet éblouis.
Julie en second dans la plus belle longueur de la voie (6B+) |
Julie en tête dans la longueur suivante en 6A+ |
Les 265 mètres de cet itinéraire ont été de bout en bout un plaisir et pour les yeux et pour les mains, un long parchemin écrit en braille dont nous avons tour à tour fait la lecture la plus méticuleuse qui soit. En ce milieu d’après-midi sur le plateau la lumière tombe du ciel chauffé à blanc comme du verre brisé tandis qu’au loin les lignes des horizons successifs se diluent, la frontière entre ciel et terre s’évanouissant. A nos pieds l’eldorado de verdure de la palmeraie épouse sur des kilomètres les contours sinueux de la rivière. Des garde-bœufs d’une blancheur d’albâtre croisent en silence au-dessus du quadrillage des parcelles pareilles à un nuancier de verts. Au milieu des habitations modernes, les ruines de boue des kasbahs abandonnées rappellent que cette luxuriance en plein désert n’a rien du miracle mais est le fruit d’une longue histoire au cours de laquelle l’usage de l’eau a été élevé au rang d’art comme nous en ferons la constatation quelques jours plus tard lors d’une longue déambulation dans la palmeraie.
Tizgui, à la sortie sud des gorges |
Une tranche d’histoire
Mais avant cela il nous reste encore quelques secteurs à découvrir pour parfaire notre connaissance des lieux, notamment deux parois dont l’exposition précoce au soleil nous avait jusqu’alors freinés. Les deux côtés d’une formidable barre fendue en son milieu d’une brèche tout aussi formidable creusée par les précipitations violentes dont la région est de temps à autre le jouet. C’est vers le secteur situé à gauche de la brèche que nous nous rendons aujourd’hui. Sur les traces d’un grimpeur dont le nom résonne encore aujourd’hui dans les pages des magazines spécialisés et les discussions entre pratiquants. Et pour cause ! Wolfgang Güllich, ce grimpeur allemand décédé prématurément dans un accident de moto en 1991 a en quelques années, à plusieurs reprises, repoussé le niveau de difficulté jamais atteint. Avec Wall Street d’abord, premier 8C au monde, puis avec Action Directe, premier 9A, cotée 8C+ à l’origine mais ré-estimée depuis à 9A, un problème qui allait devenir l’étalon à l’aune duquel les autres itinéraires de la même difficulté seraient évalués pour les 30 années à venir. Si bien sûr ces faits d’arme ont eu un impact considérable sur l’héritage de ce prodige du rocher, son influence sur l’escalade telle qu’elle se pratique aujourd’hui ne s’arrête pas là. Visionnaire, cet athlète capable de s’enfermer plusieurs mois de suite dans sa cave pour réaliser un projet particulier était aussi un esprit ingénieux qui a développé des méthodes et des outils d’entraînement désormais incontournable dont le fameux pan Güllich, ainsi qu’un homme au grand cœur, curieux, amateur de grands espaces et de nouveaux horizons, un globe-trotter dont on retrouve la trace aux quatre coins du globe, du Pérou au Pakistan, en passant par l’Australie, le Mali, le Yosemite, et le Maroc donc. Baptisé en son hommage, la barre qui nous fait désormais face déverse sur 150 mètres et aimante immédiatement le regard lorsqu’on sort des gorges pour la première fois. Opus magnum de cette série de tableaux qui se succèdent sur plusieurs kilomètres en surplomb de la route, son profil renversant atypique pour la zone a nécessairement piqué la curiosité du surdoué allemand dont l’escalade athlétique bousculait les standards de l’époque caractérisés par la verticalité et un style où l’élégance comptait autant sinon plus que l’efficacité (souvenons-nous simplement qu’aux prémices de la compétition une note esthétique était accordée aux participants, un peu à la manière de ce qui se fait en patinage artistique). Si aux dires de Youssef, le dandy érudit de l’hôtel en construction, Wolfgang Güllich a mis les pieds ici, nous n’en trouvons nulle trace écrite, l’histoire de l’escalade à Todgha, comme au Maroc de manière générale, baignant dans un flou plus ou moins complet. Qu’en est-il alors de Patrick Edlinger cité lui aussi par Youssef, ou de Lynn Hill dont une voie porte le nom ? Simples faire-valoir ou vraie histoire que l’absence de relais médiatique a muée en légende ? Qu’importe le réel quand la légende prête encore à rêver. Les voies sont là, parmi des dizaines d’autres en filigranes, démarrant sur une vire aérienne nantie d’un superbe point de vue sur le défilé des gorges que nous commençons à mieux connaître, dorénavant familiers des horaires auxquels telles faces s’illuminent, telles autres passent à l’ombre.
au fond du ravin la barre surplombante du secteur Güllich |
L’intérêt porté au « à vue » ne fléchissant pas je me jette dans la voie la plus lisible du secteur, Hijos del Agobio, quinze mètres de surplomb marqué par deux crux bien distincts dont le second a raison de mon imagination. 8A+ à vue en posant les dégaines, qui plus est dans ce registre de résistance courte où il est difficile d’improviser était osé, voire prétentieux, mais plus que de sérieusement viser l’enchaînement, ces tentatives sont un exercice des plus bénéfiques tant sur le plan de la lecture que sur celui du mental. Malgré quelques ajustements le mouvement où j’ai échoué reste aléatoire, un jeté qui promet dans l’enchaînement. Après un essai infructueux de Julie dans son propre projet, un 7A teigneux élu à défaut sur ce secteur où les plus belles lignes sont aussi les plus difficiles, je peine plus qu’à vue pour rejoindre le jeté mais transforme pourtant l’essai, prenant dans le mouvement de jeté un ballant aussi effrayant que jouissif. Une réalisation marquante sur le papier mais qui, compte-tenu de son caractère bloc, ne me transporte pas aussi loin en moi-même que les efforts plus longs auxquels nous nous sommes habitués depuis plusieurs semaines, et me laisse par conséquent un goût d’inachevé.
Après deux jours sans voir le chevrier, pensant qu’il a rejoint des altitudes plus clémentes et des pâturages plus généreux, nous sommes heureux d’apercevoir au loin sa silhouette reconnaissable entre toutes, ses chèvres s’éparpillant dans l’oued, sa voix répondant aux leurs. Comme à son habitude il fait un timide crochet par notre camion, désormais aussi familier de notre présence que nous de la sienne. Le visage emmitouflé dans un châle il n’a pas bonne mine et son sourire ne dissimule qu’à moitié le mal qui le ronge. Je lui tends mon paquet de cigarettes dans un geste devenu rituel, quant au café que nous lui tendons, pourtant bienvenu en ce début d’hiver, il le refuse sans mot dire. Nous le croyions intouchable, insensible aux éléments, mais le froid semble avoir eu raison de son minimalisme, portant sur lui tout ce qu’il possède. Comme nous l’avons déjà fait nous changeons en dirhams la petite monnaie en euros qu’il nous tend dans sa main ligneuse. En homme digne il n’exige rien de plus et nous ne donnons rien de plus, ne souhaitant en aucune façon interférer avec cette probité qui est tout à son honneur par quelque geste malvenu. Il est d’ailleurs déjà reparti, dévalant le fossé instable qui mène à l’oued en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, sans mouvoir une seule pierre, sans faire un bruit. Pourquoi améliorer aujourd’hui un sort qui demain sera à l’identique ? Pourquoi se soucier du lendemain quand on vit au présent ? Cet homme à la fois rustre et ingénu, ce fils des sables et de la pierre est comme un coffre-fort dont personne n’a pensé à faire la clé. Son silence redouble celui du monde et c’est bien ainsi.
Flânerie dans la palmeraie
Profitant d’un de nos rares jours de repos nous décidons sur une idée de Julie d’aller explorer de l’intérieur la palmeraie que nous observons de loin depuis plusieurs semaines. Elle prend racine aux portes des gorges, là où l’eau ne tarit pas, et suit fidèlement son cours jusqu’à Tinghir puis la vallée du Drâ. Rassemblées au bord de la rivière des femmes accroupies lavent le linge tout en bavardant ; un lourd labeur, et l’une des rares corvées qu’à nos yeux le progrès a supprimé à raison, ménage, cuisine et vaisselle pouvant bien se passer de ces artifices coûteux en énergie que tout foyer qui se respecte se doit désormais de posséder. Passant derrière les hôtels, les maisons d’hôtes et les restaurants, les abords du cours d’eau sont jonchées des restes de la civilisation, emballages, cannettes métalliques, bouteilles en plastique, gravats, chaussures et vêtements usagés, comme si, frappés d’une sorte de tabou, ils étaient remisés loin des yeux de tout un chacun, un geste qui, quand on y réfléchit, songeant à la manière dont aujourd’hui nous exportons nos déchets, n’est pas si différent des pratiques qui prévalent de l’autre côté de la Méditerranée ? Au-delà de cette interzone, par un passage à gué réalisé en sacs de sable, les premiers jardins jaillissent du désert. L’eau démarre là son interminable parcours au long des canaux qui alimentent les centaines et milliers de parcelles situées en aval. Depuis les rives les jardins s’étagent vers l’extérieur en paliers de quelques dizaines de centimètres de moins à chaque fois, des gouttières aménagées dans leur sol évacuant le surplus d’eau vers leurs voisins directs, mettant ainsi à profit le précieux liquide aussi loin que possible et dans le sens du courant et perpendiculairement.
au fil de l'eau |
Palmiers, saules, amandiers et oliviers, grenadiers et rhododendrons géants parachèvent l’ouvrage bioclimatique en apportant ombre et protection contre le vent aux cultures de navets, maïs, fèves, carottes et pommes de terre, tomates et poivrons, choux vivaces hauts de près d’un mètre, trèfle pour le fourrage des ânes, lesquels contribuent à leur manière, via leurs déjections collectées en différents points, à la vitalité de cet écosystème créé de bout en bout il y a plusieurs siècles. De place en place des bouquets de bambous hauts de 4/5 mètres remplissent différents usages : haies, palissage, treillis, paillage. Véritable emblème de l’oasis, le palmier en est aussi l’organe central, source d’ombre, de nourriture et de matière combustible pour le chauffage ou la cuisson tant qu’il est vivant, matériau de construction pour la charpenterie et les solivages une fois mort, une ressource inestimable en ces régions peu ou pas arborées.
Plus loin des femmes cueillent le trèfle assises dans les champs pendant que d’autres confectionnent des ballots de parfois plus d’un mètre de diamètre qu’elles hissent sur leur dos d’un geste alerte et transportent à travers la palmeraie comme s’il s’agissait d’un simple cartable. Ailleurs on récolte en famille les olives à l’aide de grandes tiges de bambous ou perchés sur des échelles, les fruits tombant sur les bâches étalées entre les arbres en un bruit de pluie. Les oliviers affichent des dimensions beaucoup plus importantes et des formes plus variées que dans les monocultures des plaines au nord de l’Atlas, leur croissance n’étant pas entravé par quelques tailles que ce soit. Des dizaines de garde-bœufs se déplacent parmi les cultures en dandinant leur long cou, à l’affût de verres de terre ou de petits amphibiens, tandis que des volées de pigeons vont d’un palmier à l’autre en quête des dattes oubliées par les hommes. Au milieu de cette luxuriance on oublie vite qu’à quelques foulées le sol est d’une telle aridité qu’il ne donnerait pas un seul épi de blé, et que le soleil est insoutenable une partie de l’année. Nous poursuivons notre ballade au hasard des allées minuscules qui séparent les parcelles avec pour seule intention d’aller vers l’aval et ces ruines rouges que nous avons remarquées depuis la route émerger telles des créatures préhistoriques du cœur de la palmeraie.
Tinghir, entre palmeraie et désert |
Les allées se font moins nettes, s’étrécissent ou mènent à des impasses mais nous revenons systématiquement sur les pas de quelqu’un. Le long de la rivière d’autres femmes font tremper des tapis de plusieurs mètres carré qu’elles essorent et font sécher au soleil, étendus sur des pierres ou des buissons. Des enfants les accompagnent qui mènent les ânes et ramassent du fourrage. Plus loin la vallée s’étrécit et nous oblige à traverser plusieurs fois la rivière puis à longer les arrière-cours ombragées des maisons les plus proches. Nous ramassons au passage quelques poignées de dattes tombées au sol ainsi que des amandes négligées lors de la dernière récolte et quelques grenades éclatées, fascinés par ce que cette forêt comestible a à donner. La piste que nous suivons comme des chasseurs sioux depuis plusieurs heures nous conduit irrémédiablement vers la route que nous traversons avant de trouver une volée d’escaliers qui dégringolent entre les maisons. En bas se trouve la palmeraie à proprement parler, là où tout a commencé, une plantation vieille de plusieurs siècles. Les spécimens les plus âgés, remarquables à leurs troncs émoussés, atteignent facilement une vingtaine de mètres de haut.
au coeur de la palmeraie, un espace dédié au football |
De loin en loin des fruitiers et des oliviers de taille plus modeste complètent ce verger qui semble n’appartenir à personne et à tout le monde à la fois. Les sens en éveil nous errons dans cette demi-obscurité depuis une vingtaine de minutes lorsque nous tombons nez à nez avec les ruines que nous souhaitions approcher. Au détour d’un mur d’enceinte, derrière les dernières frondaisons, se présentent les premiers murs de boue pareils aux vestiges d’une civilisation engloutie par la jungle. Des constructions rougeâtres percées d’étroites ouvertures dressent leurs façades décapitées contre le gris du ciel.
premiers murs |
Nous
nous approchons timidement, pas tout à fait certains d’être à notre place, mais
comme nous l’indique les sentes qui serpentent parmi les décombres nous ne
sommes pas les premiers à visiter les lieux. Les murs éventrés d’une première
habitation de plusieurs étages laissent apparaître son infrastructure :
poutres et solivages, le palier d’un escalier.
charpente en bois de palmier |
ruelle |
Des ruelles étroites nous conduisent jusqu’à d’autres bâtiments en meilleur état où nous nous glissons par une porte basse. Il y fait aussi sombre qu’en pleine nuit. Dans un coin un four à pain, des débris de poterie d’une taille peu commune dans un autre. Hormis le bois de palmier utilisé pour toutes les pièces porteuses, linteaux, poutres et montées d’escalier, l’architecture est entièrement réalisée en une terre crue rouge-brun que les intempéries, bien que rares dans la région, finiront un jour par rendre à la Terre : les murs bien sûr, constitués de briques recouvertes d’un enduit de finition, mais aussi les marches d’escaliers, les seuils des portes, les tours de fenêtres, les sols, les margelles, ainsi que toutes les ornementations, tout cela tiré au cordeau, avec les moyens de l’époque. Aussi la cité semble littéralement avoir surgie de terre, avoir poussé comme un organisme vivant plutôt qu’avoir été érigée par la main de l’homme, pareille à un arbre, une montagne ou une fleur.
détail des murs |
ornements |
kasbah |
détail fenêtre |
montée d'escalier |
Ceux qui ont taloché ces murs sont les mêmes qui ont planté les premiers palmiers, récolté les premières dattes après en avoir assuré la pollinisation, ville et palmeraie étant indissociables, un écosystème unique. Nous élevant jusqu’à un tertre dominant la zone que nous avons traversé nous découvrons la configuration de la cité et son étendue insoupçonnée. La vision est époustouflante, l’ouvrage digne de figurer dans les livres d’histoire et d’architecture, voire d’être recensé au patrimoine de l’Unesco. La cité en ruine s’étire sur plusieurs kilomètres en une succession de quartiers plus ou moins endommagés et de kasbah plus ou moins hautes, entre le brun du coteau auquel elle est adossée et le vert de la palmeraie.
à la lisière de la palmeraie, la cité de boue dans son ensemble |
jambage |
Par endroits certaines habitations paraissent avoir été en partie rénovées et être habitées, et des jardins s’y camouflent de place en place. Nulle part toutefois nous ne voyons le moindre signe d’une mise en valeur ou de fouilles archéologiques. De retour au camion nous ne trouverons rien ou presque sur son existence, ni dates ni détails sur son économie, ses traditions. Une situation qui sans être comparable à celle des vestiges de greniers de l’Oued Al Abid relève elle aussi de cette ignorance plus ou moins consciente des racines du pays qui frappe tout lieu d’intérêt culturel et ne cesse de nous surprendre, surtout quand au même moment, à moins d’une dizaine de kilomètres à vol d’oiseau, ils sont des centaines à s’extasier du spectacle des gorges.
3 fois nomade
Paroi du Levant, notre dernière grande voie |
Au sommet de notre dernière grande voie, un itinéraire une nouvelle fois de grande classe marqué par trois longueurs particulièrement aériennes, Julie comme moi ressentons qu’il est temps de fermer la page Todgha. Bien que nous n’ayons pas gravi le dixième des itinéraires équipés une plénitude nous envahi de concert lorsque, parvenus au sommet de la crête qui prolonge la face verticale escaladée, nous embrassons l’horizon qui s’étire dans toutes les directions et réalisons que nous en avons parcouru, arpenté et escaladé une bonne part. Depuis ce point le plus au sud de notre séjour marocain nous observons le nord, synonyme de retour, avec un mélange de nostalgie et d’excitation pour ce que nous réserve le Rif, notre dernière étape au pays. Au loin, au creux d’un oued dissimulé par un épaulement rocailleux, un mouvement attire notre attention. Un âne, bientôt rejoint par un second. Des enfants qui courent. Des femmes habillées comme des guerrières. Des nomades dont la tente noire caractéristique dépasse de quelques dizaines de centimètres d’un enclos circulaire en pierres. Une vie en dehors de toute circonscription, de tout ordre autre que celui du climat et de la croissance de l’herbe. Plus haut sur ce même versant on aperçoit un ensemble d’enclos du même genre. Ailleurs une grotte aménagée ainsi que les vestiges de construction rectangulaires au creux du col tout proche maintenant.
habitat nomade |
pains "maison" en 3 gestes |
Tandis qu’il file en direction des gorges et de Tinghir je prends conscience que nous ne connaissons pas son nom, ni lui les nôtres. Il restera le chevrier, l’homme des grottes et des pierriers, le gardien d’un mode de vie en voie de disparition, veillant sur le silence et le feu comme sur ses bêtes, un être dont la vie et l’œuvre sont indissociablement liées.
Quelques heures plus tard nous prenons la route dans l’autre sens, tournant le dos aux gorges pour la dernière fois, direction le Rif.
Sous l’abri noirci de suie centenaire
Parmi les immondices éparses
Un bouton Ralph Lauren
dernière nuit dans l'Atlas |
wow wow wow... gros bisous, alex
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