Des Pyrénées au détroit, à la croisée de la ruralité et de la modernité
Hormis la sœur de Julie, nous avions à cœur de croiser Cédric, ex-spinalien, et Flo, sa compagne, lors de notre passage par les Pyrénées, une chaîne de montagne moins plébiscitée que les Alpes et où nous-mêmes n’avions jamais mis les pieds pour grimper. Malgré le portrait élogieux que nous avait dressé ce dernier des beautés verticales de ce massif, nous avions toutefois toujours botté en touche. Qu’elle n’a pas été alors notre surprise une fois en altitude. Jour après jour, d’un col l’autre, les ravissements se sont succédés à un rythme tel que nous avons quelque peu perdu le fil des notes destinées à nourrir cette page…
Mis au courant du développement d’un nouveau site de bloc par une rencontre impromptue au pied d’une petite falaise de Lourdes, nous avons d’abord pris la direction de La Mongie. A peine informé de l’affaire, il n’aura fallu à Cédric que quelques clics et mails judicieusement adressés pour mettre la main sur le topo du site en question. Quelques heures plus tard c’est sous une brume épaisse, un phénomène météo dont nous avions presque oublié l’existence en cet été caniculaire, que nous traversons cette station de sport d’hiver aux allures fantomatiques.
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les retrouvailles avec la météo capricieuse |
Construite dans la ferveur de l’après-guerre avant d’être agrandie dans les années 70, au paroxysme de leur laideur architecturale, la station a de surcroît mal vieillie : murs décrépis, locaux abandonnés ou à louer depuis ce qui semble une éternité, résidences paquebots surgies tout droit d’un mauvais film de science-fiction marquent le déclin inexorable de cette industrie qui a fait les beaux jours d’une poignée d’investisseurs et promoteurs.
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les résidences hors-sol de la station de La Mongie |
Le lendemain le son des cloches des vaches qui pâturent au milieu des remontées mécaniques immobiles anime notre petit déjeuner, les yeux rivés dans nos jumelles pour mieux apprécier le chaos où nous espérons jouer de la brosse métallique les jours à venir.
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une partie du chaos |
Bien qu’un énorme travail de terrassement ait déjà été fait par les locaux, le lieu en partie vierge invite nécessairement à l’ouverture, une pratique dont nous sommes coutumiers bien qu’ici les règles ne soient pas les mêmes. Si nettoyer un bloc ne demande que peu de temps relativement aux heures nécessaires à la même tâche dans les forêts vosgiennes, son « aménagement » (terrassement, purge, etc.) s’avère être une autre paire de manches et s’apparente tout bonnement à du gros œuvre. Nous aurons d’ailleurs rapidement l’occasion de voir ces locaux à l’ouvrage. Réunis exceptionnellement en ce weekend de fin août pour poursuivre à la fois le chantier et la rédaction du topo, nous avons pu admirer leurs techniques et leurs efforts pour extraire un à un de ce chaos gigantesque des blocs de grande classe. A l’aide de barres à mines, perfo, plaquettes, palans et tire-forts, ceux-ci n’hésitent pas à déplacer des rochers de plusieurs centaines de kilos sur plusieurs mètres, mettant ainsi à jour les lignes les plus improbables de prime abord. Des travaux dignes d’Hercule pour lesquels nous leur tirons notre chapeau et les remercions, ainsi que de leur accueil, bon enfant et chaleureux. De notre côté, empruntant des voies plus conventionnelles, nous ouvrons toutefois quelques beaux passages jusqu’au 7a+, profitant principalement de cette étape pour délasser nos corps assoupis par une dizaine de jours sans activité.
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Cédric dans un 7A |
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Gautier dans une ouverture aux environs de 7A+ |
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Julie dans une ouverture aux environs de 6A |
Dans la foulée de cet avant-goût pyrénéen nous rejoignons le massif du Néouvielle, un lieu dont les charmes nous ont été vanté par Cédric et pour lequel nous nous voyons troquer nos crashpads contre cordes, baudriers et toute la quincaillerie idoine. Enclavé à plus de 2000m d’altitude derrière plusieurs verrous naturels le barrage de Cap de Long offre un camp de base idéal à nos doigts de grimpeur en mal de fraîcheur et nos esprits épris de vertige. L’endroit est en effet réputé pour ses grandes voies sur un granit d’une qualité exceptionnelle, tant dans le style alpin que sportif.
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levée de soleil depuis Cap de Long |
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fin de journée sur le Néouvielle |
Du fait d’une météo capricieuse et d’un manque certain de préparation nous jetons notre dévolu sur des voies du second registre, plutôt orientées « école ». Bien nous en a pris car malgré une certaine assurance dans l’escalade et une fluidité grandissante entre nous dans les manipulations de corde, le style de grimpe, dicté par la compacité du rocher, est pour le moins déconcertant. Ainsi, au menu des quelques voies que nous gravirons durant ces quelques jours : des dalles positives, lisses comme un cul de bébé, requérant les adhérences les plus soignées, des cheminées et des dièdres retors où, faute de prises franches et du fait de leur caractère aérien, la clé se trouve être d’ordre plus psychologique que physique, et, malgré un équipement « école » sur le papier, de l’espace entre certains points ; sans oublier le facteur météo, cette dernière pouvant basculer en quelques dizaines de minutes comme nous en ferons l’expérience d’une ambiance paisible type Calanques de Marseille au bruit et la fureur des orages estivaux.
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Cédric dans la longueur clé de L'insoutenable légèreté de l'être |
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Flo en action dans une première longueur |
Nous tirerons de cette mise en jambe quelques leçons bienvenues dont le fait que malgré notre « bon » niveau intrinsèque en escalade, l’humilité est de mise dans ce type d’environnement. Et c’est avec un regard rêveur et lucide à la fois que nous observons depuis notre camp de base le Néouvielle et ses faces à la beauté sévère à quelques heures de marche de là.
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Cap de Long et le Néouvielle |
Invitant d’abord à lever les yeux vers les cimes l’endroit ne manque toutefois pas d’attrait pour les bloqueurs dans l’âme que nous sommes. Au bout de la muraille qui borde le lac, théâtre de nos échappées verticales, s’étire sur plusieurs centaines de mètres un chaos gris clair, superbe, tout de lumières et d’ombres, issu de deux éboulements qui ont secoué le massif au milieu du XXème siècle pour le plus ancien, il y a quelques années pour l’autre. Là des blocs énormes, colosses aux formes géométriques atypiques, attendent les grimpeurs du futur tant ils sont avares en prises. Parmi eux toutefois quelques-uns semblent pouvoir être domestiqués, présageant une escalade aussi athlétique qu’épurée.
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le granit parfait du chaos |
Ainsi verra le jour, à l’issue d’un duel étalé sur plusieurs séances, Cœur de granit, notre première ouverture d’ampleur du séjour tant par sa difficulté évaluée aux alentours de 7c/c+, que par son esthétique sculpturale.
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Coeur de granit, 7C/C+ assis |
Nous quitterons ce cadre enchanteur le lendemain, non sans un pincement au cœur et un léger goût d’inachevé, et après avoir partagé une bière avec Joss et Yannick, locaux affables et au grand cœur rencontrés le jour même.
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Bien que sur notre feuille de route prévisionnelle la prochaine destination se trouve être de l’autre côté du détroit de Gibraltar, il nous saute rapidement aux yeux qu’il serait dommage de ne pas faire un crochet par deux des plus importants spots de bloc espagnols, l’un et l’autre probablement sous la neige lors de notre retour dans la péninsule d’ici quelques mois.
Après la monotonie et la déshérence des plaines chauffées à blanc qui s’étendent sur des centaines de kilomètres au pied des Pyrénées espagnoles, le parc des Pinares del Rodeno, à la porte duquel se situe Albarracin (notre destination), fait figure de rescapé avec ses forêts de pins caractéristiques et ses canyons de grès rouge où quelques arbres fruitiers profitent d’une ombre inespérée pour s’épanouir.
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los Pinares del Rodeno |
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Pinturas rupestres |
Région occupée par homo
sapiens depuis au moins 10000 ans comme en témoignent les peintures rupestres
qui émaillent un peu partout ce grès si caractéristique, le territoire où est
nichée la petite cité fortifiée d’Albarracin, l’une des plus belles d’Espagne
avons-nous entendu dire, est pour ces raisons très prisé des touristes
espagnols mais aussi des grimpeurs du monde entier. A raison. Dès notre première ballade de repérage nous
comprenons en un clin d’œil l’engouement que suscite ce site depuis déjà
plusieurs dizaines d’années. Un peu partout dans la forêt et les canyons
s’élèvent des blocs de grès rouge d’une qualité exceptionnelle tant par son
grain que par ses formes et ses textures étranges. Partout des lignes de classe mondiale se dessinent en
pointillés de magnésie, peintures rupestres d’une autre ère. Partout des lignes
vierges qui attisent l’imagination et réveillent la peau des doigts, assurant
l’avenir du site pour encore des générations de grimpeurs.
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symbiose |
A la croisée d’Annot, de la Capelle et de Fontainebleau, le rocher porte les stigmates des temps longs de la sédimentation et de l’érosion, des stries et des sillons plus ou moins parallèles qui pareils aux runes d’une langue oubliée dessinent des méandres et des arabesques compliquées, des ébauches de cercles parfois très proches d’une empreinte digitale humaine, comme si apparaissait là le négatif des forces qui l’ont façonné.
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le grain parfait d'Albarracin |
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empreintes digitales ? |
Hormis ces bois préservés de la déforestation qui a débuté avec l’implantation de l’empire romain dans la région, le territoire environnant est semi-désertique, épineux, austère, et il est difficile de l’imaginer tel qu’il a pu l’être avant ce carnage.
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lumières matinales sur les fortifications d'Albarracin |
Successivement occupé par les musulmans et les chrétiens le village a une longue et mouvementée histoire. Et chacune des maisons, ruelles, pièces d’artisanat, témoignent de ce mélange des cultures et des techniques de construction. Qu’il s’agisse de charpente, de couverture, de maçonnerie, de menuiserie ou de ferronnerie, on devine la patte des meilleurs artisans de chacune de ces époques et le soin qu’ils y ont apporté. La totalité ou presque des ouvertures des rez-de-chaussée et des premiers étages sont gardées par d’imposantes et savantes défenses réalisées à la forge, et dont certains modèles constitueraient encore aujourd’hui, pour des ferronniers d’art en activité, des pièces requérant ingéniosité et habilité.
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architecture typique |
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grille de défense en fer forgé |
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habillage de porte d'entrée |
De tels systèmes de défense, leur présence à quasiment toutes les fenêtres, en disent long sur les craintes que les habitants avaient de se voir envahir par l’ennemi. Par une porte entrouverte se laisse deviner un hôtel de luxe agencé dans un style pseudo-authentique, une atteinte esthétique à la vie contenue dans ces pierres, ce bois, ce fer, un geste qui en dit lui aussi long sur le chemin parcouru depuis par la modernité…
Quant à l’escalade, si ce n’est quelques jolies croix jusqu’au 7c et 7a pour l’un et l’autre, il nous faudra pour sûr revenir, les conditions climatiques d’une bonne dizaine de degrés trop élevées pour apprécier l’adhérence de ce grès exceptionnel nous ayant à la fois limités à quelques heures d’escalade par jour et interdits de nous exprimer pleinement.
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Julie dans un 6C |
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Gautier dans un mur/highball en 7A |
Julie dans Luna Negra, 7A |
A quelques centaines de kilomètres de là, 50 au nord de Madrid, à l’arrière-plan d’une petite ville où le rythme de vie espagnol se fait plus fortement ressentir qu’à Albarracin, se trouve l’autre centre névralgique du bloc de la péninsule, un lieu au nom évocateur : la Pedriza, un véritable océan de granit qui, compris entre 1000 et 1800m d’altitude, et si l’on file la métaphore jusqu’au bout, semble avoir été figé en pleine tempête.
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capharnaüm |
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à la croisée de la modernité et de la ruralité |
Une fois dans le parc naturel qui accueille ce joyau, se dressent à perte de vue des tours, des pics et des parois aux contours fantasmagoriques, sculptés de main de maître par l’érosion éolienne et pluviale. Avec plus de 3000 blocs répertoriés, plus du double de voies sportives et de grandes voies, il y a là de quoi s’occuper plusieurs vies. Comme à Albarracin la période n’est pas la plus propice à l’escalade et il nous faut chercher les faces nord et les bosquets pour arracher chaque jour à la chaleur quelques heures de conditions supportables, cela d’autant plus que, le site se trouvant à l’intérieur du parc, il est interdit d’y pratiquer quelque activité sportive que ce soit entre 22h et 7h.
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le massif de la Pedriza depuis le Yelmo |
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détail de cette forêt de granit |
Contrairement à Albarracin toutefois l’accessibilité aux secteurs de voie comme de bloc, malgré un topo bien fait, relève d’un autre sport plus proche de la croix et la bannière que du caractère ludique ou bucolique habituel, un fait qui explique sûrement en partie la moindre fréquentation du site et le peu de croix référencées sur les sites en ligne dédiés. L’autre facteur étant sans doute l’archétype de l’escalade à la Pedriza, un style qui avait la cote dans les années 80 mais aujourd’hui souvent boudé, à savoir, la dalle, la vraie, la progression sur ces parois compactes s’effectuant essentiellement à la force des mollets et de la plante des pieds, avec dans les mains… rien… sinon parfois quelques microscopiques cristaux. Et cela des cotations les plus humbles aux plus élevées…. Imaginer que les meilleurs locaux qui se sont démarqués dans ce style au cours des dernières années ont avancé des propositions jusqu’au 8C+ nous laisse songeurs et un tantinet envieux avouons-le.
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où sont les prises ? |
Malgré la proximité de la capitale espagnole et une fréquentation importante les weekends, le massif, pour ces mêmes raisons sans doute qui nous ont quelques fois fait hurler, perdus au milieu de ce chaos sans fin, pris au piège d’une végétation récalcitrante – le massif disions-nous, conserve un caractère sauvage que nous n’avions plus rencontré depuis le Néouvielle, loin des sentiers trop bien balisés et de l’environnement aseptisé d’Albarracin ou encore d’Ailefroide. Plutôt que de taxer les usagers du parc de quelques euros comme il se fait désormais ici et là de plus en plus, les autorités locales ont pris le parti de limiter à 270 par jour le nombre de voitures autorisées à y accéder, une réglementation qui semble porter ses fruits compte-tenu du peu de détritus et autres joyeux désagréments que nous avons l’occasion d’observer durant notre passage.
Faune et flore s’en portent d’ailleurs à merveille. Que ce soit au cours de nos approches ou en pleine paroi nous avons assisté, médusés par leur agilité et leur grâce sur leur terrain de jeu respectif, au majestueux ballet de nombreux vautours, des spécimens de plus de deux mètres d’envergure dont le vol aussi souple et silencieux que celui d’un planeur, ne cessera de nous fasciner, ainsi qu’aux acrobaties des chèvres des montagnes en quête des meilleurs lichens sur des parois avoisinant sans doute le 6a dalle.
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cabra de las montanas |
Après deux demi-journées de bloc et deux grandes voies dont une nous a permis de profiter depuis le sommet du Yelmo, emblématique du massif, d’une vue imprenable sur la presque totalité de cette forêt de granit, nous quitterons encore une fois ces lieux avec un sentiment mitigé, et frustrés d’en avoir si peu vu et grimpé, et poussés vers le sud par l’approche de l’automne qui dans le Haut-Atlas marocain, notre prochain rendez-vous, peut être synonyme de grand froid et de précipitations neigeuses.
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échauffement sur les secteurs de bloc |
Arrivés il y a deux jours aux abords du détroit, lieu de tous les contrastes entre une ruralité ancrée et la hype la plus vulgaire, la fraîcheur de l’océan vivifie après ce mois et demi de sécheresse, les côtes marocaines désormais à portée de jumelles.
Hasta luego comme on dit ici.
Ce blog est un plaisir photographique et littéraire, un beau partage !
RépondreSupprimerBonne continuation à vous, grosses bises
🤩🤩🤩les mots me manquent ! 😘
RépondreSupprimerCedric
SupprimerMerci les petits chéris pour ce partarge très enrichissant et bravo les artistes, aux écrivains et photographes. Bonne route mes explorateurs et gros bisous. Mamoune
RépondreSupprimerBravo pour ce beau début et j'ai hâte de découvrir le Maroc :)
RépondreSupprimerBelle plume, on se régale ! Bruno J.
RépondreSupprimerwow wow, mais c'est un vrai travail littéraire et journalistique dites-moi, loin du consumérisme numérique d'aujourd'hui.. Bon vent à vous dans l'Atlas ! faites-nous rêver..
RépondreSupprimermerci à vous de nous faire découvrir , à coups d'envolées littéraires...ce gros rocher qu'on appelle la terre ! bon voyage dans l'insolite ! gros bisous .clo .
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